Au soir de sa vie d’artiste, Dieudonné demande pardon aux juifs. «(…) mon âge, ma santé m’invitent aujourd’hui à préparer ma retraite au Cameroun, sur la terre de mes ancêtres. Aussi, j’aspire à quitter la scène en paix: en paix avec moi-même, en paix avec les autres, dans un respect réciproque et sincère. Je veux apporter ma pierre à l’édifice de la réconciliation dans un contexte de tensions générales exacerbées», écrit-il dans une lettre spécialement rédigée pour le site Israël Magazine, un média israélien francophone.
Publié mardi, cet acte de contrition a été suivi le même jour d’un «débrief» dans TPMP, l’émission de Cyril Hanouna. L’animateur était au parfum d’excuses qui se tramaient depuis plusieurs mois, à l’initiative, semble-t-il, de Francis Lalanne, complotiste, gilet jaune et «ami d’Israël».
Est-ce la fin d’une parenthèse de vingt ans d’antisémitisme dans la vie de Dieudonné? L’humoriste n’emploie pas ce mot-là, mais son repentir porte bien là-dessus:
Coup médiatique? Enième provocation? Manière de solder ses dettes et procès perdus, beaucoup pour antisémitisme? Présent mardi soir sur le plateau de TPMP, son avocat, Emmanuel Ludot, a assuré de la sincérité de la démarche de son client. Me Ludot avait aussi défendu Youssouf Fofana, le chef du «gang des barbares» et meurtrier du jeune juif Ilan Halimi en 2006, enlevé «parce que les juifs ont de l’argent».
"Une prise de conscience (...) Il est sincère"
— TPMP (@TPMP) January 10, 2023
Dans une lettre évènement, Dieudonné demande pardon à la communauté juive. La réaction de son avocat Me. Emmanuel Ludot. #TPMP pic.twitter.com/sJyTLa9IAl
Parmi les juifs, certains sont prêts à pardonner à Dieudonné, d’autres ne voient qu’arnaque dans ses excuses. Les plus disposés au pardon se situeraient plutôt à droite de l’échiquier politique. C’est le cas de l’avocat Gilles-William Goldnadel, un habitué de «L’Heure des pros», l’émission animée par Pascal Praud sur la chaîne CNews. Lui qui dit avoir été le premier à obtenir la condamnation de Dieudonné, fait à présent preuve de clémence:
J’ai été le premier à le faire condamner. J’ai plaidé que je lui en voulais de gâcher tant de talent. Il a détruit sa vie et sa carrière. Si ses condamnations sont entièrement exécutées et si son repentir est sincère, je ne vois pas au nom de quoi , je ne lui pardonnerai pas . https://t.co/z6SUpJYuD7
— G-William Goldnadel (@GWGoldnadel) January 10, 2023
Tout autre est la réaction de son confrère Patrick Klugman, avocat de SOS-Racisme, ancien président de l’Union des étudiants juifs de France, une association historiquement proche du Parti socialiste. Il ne croit pas une seconde Dieudonné sincère:
#Dieudonné était banni de tv à cause de son antisémitisme après plus de 20 condamnations! Fallait-il le plateau de @TPMP pour lui permettre de récidiver le sketch où il fait mine de présenter ses excuses à la communauté juive pour mieux continuer à l’injurier? https://t.co/F09tlBvr34
— Patrick Klugman (@PKlugman) January 10, 2023
Dans un autre tweet, Patrick Klugman rapproche les présentes «excuses» de l’humoriste franco-camerounais de son spectacle sorti en 2004, intitulé «Mes excuses», à prendre comme une antiphrase. Il multipliait les piques antisémites:
Depuis 2004 #Dieudonné, présente ses « excuses » à la communauté juive dans un spectacle fait pour se moquer d’elle. On attend celles de @Cyrilhanouna pour avoir permis la récidive de cet odieux crachat. pic.twitter.com/xu4D7i4Asj
— Patrick Klugman (@PKlugman) January 11, 2023
Connu sous le nom de Gaston Crémieux, un pseudonyme emprunté à une figure politique juive du 19e siècle, ce militant «universaliste et laïque», contributeur à l’hebdomadaire Franc-Tireur, réplique durement à Dieudonné, comme à Cyril Hanouna:
Dieudonné est une ordure et Hanouna en est une autre de lui servir de relais
— Gaston Crémieux (@GastonCremieux) January 10, 2023
40 condamnations en justice pour antisémitisme, négationnisme, fraude fiscale, violences. Des centaines de milliers d'euros d'amendes jamais payées, des années de prison non exécutées
Ni oubli ni pardon https://t.co/Xgon3YNwsH
«Le coup des excuses, Dieudonné l’a déjà fait», relève Gaston Crémieux, joint par watson:
Directrice du mensuel Causeur, invitée fréquente du plateau de Pascal Praud, Elisabeth Lévy avait réalisé une longue et mémorable interview de Dieudonné, début 2014. L’humoriste venait de voir son spectacle «Le Mur» interdit par le Conseil d’Etat, sur demande du ministre de l’intérieur Manuel Valls. C’est dans «Le Mur» qu’il s’en prenait au journaliste de radio Patrick Cohen, dont on pouvait penser qu’il regrettait qu’il ne fût pas mort dans les chambres à gaz. Une blague?
«Précisément, le problème posé par Dieudonné, ce sont moins ses blagues, dont je ne suis personnellement pas preneuse, mais qu’il a le droit de faire, y compris sur les juifs, que ses engagements politiques, ses discours complotistes et antisémites, tenus au côté d’Alain Soral. Lequel, au passage, me semble plus dangereux que Dieudonné», observe Elisabeth Lévy, jointe par watson.
La directrice de Causeur n’est pas convaincue par la contrition de Dieudonné. «Il n’interroge pas l’essentiel: l’origine de sa passion antijuive», estime-t-elle.
C’est la conviction, au début des années 2000, que les «juifs» ne voulaient pas de son projet de film sur l’esclavage des Noirs, afin de garder pour la Shoah l’exclusivité du travail de mémoire en France, qui a est à l’origine de l’antisémitisme de Dieudonné, pense-t-on. Il ira jusqu’à faire monter le révisionniste Robert Faurisson sur la scène du Zénith à Paris en 2008. Il avait précédemment rompu avec celui qui avait été longtemps son complice en humour: Elie Semoun, un juif.
Dieudonné s’est produit samedi sur une scène genevoise, à l’insu du propriétaire de la salle, assure ce dernier. Cité par RTS Info, il aurait été trompé sur l’identité de l’artiste.
Notre bonhomme a-t-il réellement tiré un trait sur ses blagounettes juives? D’après la Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation (CICAD), Dieudonné aurait notamment joué, samedi à Genève, «un sketch qui tourne en dérision la Shoah, ainsi qu'un sketch transphobe».