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«Vieilles» influenceuses: pourquoi c'est dur de rester dans le coup

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Mamans influenceuses: pourquoi c'est dur de rester dans le coup

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Image: shutterstock
Pour les professionnelles de l'image parfaite (ou savamment imparfaite) sur Instagram, celles qui ont déjà 10 ans d'expérience en ligne, le passage à la vidéo, par exemple, est un virage difficile à négocier.
12.02.2022, 12:00
Kathryn Jezer-Morton / slate
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Une jolie femme blonde, impeccablement maquillée, s'agite dans le cadre de mon flux Instagram. Elle fait de grands gestes. J'ai du mal à comprendre. Un titre flottant apparaît, m'informant que je suis en train de regarder «Une conversation que j'imagine entre mes enfants (épisode n°21)». La jeune femme s'appelle Lindsey Simon Gurk.

C'est une «maman influenceuse» de la région de Las Vegas, mère de deux enfants, qui s'est fait connaître pour ses posts «look du jour» toujours proprets et travaillés, mais qui se lance depuis quelque temps dans les capsules vidéo humoristiques sur TikTok et Instagram.

Un article de Slate
Slate

Dans ce «Reel», elle joue le rôle de ses deux enfants. On la voit assise à côté de ses toilettes (impeccablement propres) en train de grignoter du papier? toilette. Elle interprète un dialogue dans lequel ses deux enfants cherchent à lui cacher leurs bêtises. C'est de l'humour gentil et bienveillant au sujet des bizarreries mignonnes auxquelles s'adonnent régulièrement les enfants: la Lindsey de 3 ans demande à la Lindsey de 1 an pourquoi elle mange du papier toilette, et le bébé répond: «Tu trempes bien tes pommes dans le ketchup, toi!». La prestation est bonne. Gurk est totalement à l'aise dans son rôle, même presque trop. Au bout de vingt-huit secondes, la vidéo s'achève et je passe à autre chose.

Les influençeuses made in watson?

Vidéo: watson

Le monde des mamans influenceuses est en train de changer. Au cours de la dernière décennie, les mamans Instagram -soit la deuxième génération de «mamans influenceuses», la première étant celle des mamans blogueuses des années 2000- ont développé un langage visuel, une esthétique, qui a fini, qu'on le veuille ou non, par symboliser les aspirations des mères occidentales contemporaines. Une esthétique qui marque le passage des saisons avec des photos prises dans des champs de fleurs sauvages ou de citrouilles. Une esthétique qui célèbre le premier anniversaire du bébé avec un gâteau fait spécialement pour lui, afin qu'il s'en tartine consciencieusement le visage. L'esthétique des enfants en pyjamas coordonnés et des mères qui vont toujours bien, avec un sourire déterminé que dessinent des lèvres impeccablement glossées.

Transition difficile

Cependant, depuis quelques années, les codes visuels des mamans Instagram ont évolué vers l'expression de plus d'imperfection et d'honnêteté, car l'impression d'authenticité est devenue la qualité la plus recherchée et vendeuse chez les influenceurs, passant devant la perfection.

Encore récemment, leur principal moyen de communication était l'image statique, ce qui permettait aux mamans influenceuses d'avoir un grand contrôle sur les messages qu'elles envoyaient.

Mais l'algorithme d'Instagram, influencé par l'essor de TikTok, s'est mis à favoriser les vidéos courtes, les «Reels», par rapport aux photos. Contrairement aux vidéos, que les gens publient sur leurs pages Instagram depuis des années, les «Reels» ont droit à leur propre flux et sont limités à soixante secondes. Comme les vidéos de TikTok, ils se repassent en boucle, et il est incroyablement addictif de passer de l'un à l'autre en les faisant défiler.

L'accent mis par Instagram sur la vidéo a vraisemblablement été motivé par la peur de voir TikTok lui prendre des utilisateurs, mais pour l'ancienne génération d'influenceurs, parmi lesquels on trouve bien sûr les mamans, la transition n'est pas toujours facile. Après une décennie passée à bâtir leur «marque» autour de clichés statiques, beaucoup de mamans influenceuses pourtant expérimentées se retrouvent aujourd'hui dans l'obligation d'acquérir de nouvelles compétences. Si Instagram se met à modifier son algorithme tous les six mois afin de garder l'attention des spectateurs, à quel moment cela devient-il insupportable pour les mamans influenceuses?

Nous attendons des photos qu'elles soient propres et lisses, mais nous voulons que les vidéos aient l'air authentiques et convaincantes.

Ces trois dernières années, l'un des principaux outils visuels des mamans influenceuses a été le cadre à message (appelé aussi «letterboard»). On en a vu partout et ils ont été très utiles aux influenceuses qui les utilisaient. Maya Vorderstrasse, Brésilienne qui vit dans le sud des États-Unis avec son mari américain et leurs trois enfants, est considérée par beaucoup comme la reine du cadre à message. Ses posts humoristiques utilisant un cadre à message sont devenus viraux de nombreuses fois. Mais désormais, c'est avec une certaine appréhension que Vorderstrasse envisage son avenir de créatrice de contenus vidéo.

«Faire des vidéos est bien plus délicat que faire des photos»

C'est un médium beaucoup plus exigeant pour les mères qui doivent faire montre de leurs talents d'interprète. Faire de l'autodérision en dansant sur TikTok est à la portée de toutes, mais le problème pour les mamans influenceuses est que c'est leur quotidien qui leur sert de matière première: leur cuisine, leurs enfants, leurs habitudes?

Contrôler l'arrière-plan d'une photo demande moins d'efforts que de préparer une pièce entière afin qu'elle puisse être filmée, mais ce n'est pas le plus difficile.

Pour ces vidéastes débutantes que sont les mamans influenceuses, la difficulté principale est de devoir interpréter des scènes entières -et divertissantes- censées être tirées de leur propre vie sans que cela sonne faux. En tant que spectateurs, nous sommes habitués à attendre du contenu des mamans influenceuses qu'il ait un certain aspect, très propre et lisse, ce qui n'est pas vraiment difficile à obtenir en photo. Mais avec les vidéos, il est impossible de tenir une pose.

Il y a donc un double niveau d'attente: nous attendons des photos qu'elles soient propres et lisses, mais nous voulons que les vidéos aient l'air authentiques et convaincantes. Pour les mamans influenceuses, cela implique d'être à la fois glamour, naturelles et spontanées.

Équilibristes

Lindsey Gurk, de la vidéo sur le papier toilette, est la preuve qu'il est possible de marcher sur cette corde raide. Mais elle montre bien aussi à quel point cela est difficile. Début 2021, alors qu'elle commençait à s'essayer aux «Reels», Maya Vorderstrasse a posté une vidéo au ton inhabituel qui traitait des émotions qu'elle ressentait à l'occasion du sevrage de son plus jeune enfant. Elle y apparaissait vêtue d'une robe à fleurs, prête à se plonger dans une baignoire parsemée de fleurs? éclatant en sanglots au moment de prendre son enfant dans ses bras pour sa dernière tétée.

C'était saisissant. La vidéo était en rupture complète avec les codes prévalant habituellement sur TikTok (blagues, danses ou explications enjouées sur des sujets de société). C'était une mère affichant sa vulnérabilité, quelque chose qu'il est rare de voir sur Instagram.

L'élément clé pour l'algorithme aujourd'hui, ce sont les gens qui sauvegardent et partagent vos contenus. Avant, c'était l'engagement.

Rencontrant un grand succès auprès des followers de Vorderstrasse, la vidéo fut de plus en plus diffusée sur les feeds des utilisateurs à mesure qu'elle suscitait des réactions. Rapidement, elle fut visionnée par toutes sortes de personnes -plus seulement des mamans. «J'ai fait 10 millions de vues avec cette vidéo et il a fallu que je la retire», explique-t-elle.

«Quand l'algorithme commence à montrer ce que vous faites à des gens que cela n'intéresse pas, vous vous mettez à avoir des gens qui vous insultent sans vous connaître. J'ai reçu des menaces de mort»
Maya Vorderstrasse

Il est impossible de savoir exactement ce qui, dans la vidéo, a poussé certaines personnes à réagir si violemment. Était-ce son côté mis en scène, sa sincérité inattendue ou peut-être le simple fait qu'une femme évoque à quoi servent ses seins qui énerva à ce point certaines personnes? «Ça m'a totalement dissuadée de refaire des Reels, confesse Vorderstrasse. Ça me désole vraiment, parce que c'est la direction que prend la plateforme, mais je préfère m'en tenir aux photos ou, au pire, aux «Reels» sans émotions. Je fais très attention, maintenant. Internet est sans pitié.»

Vorderstrasse a été l'une des premières influences de Brooke Raybould, alias @thesouthernishmama, qui a réussi à rassembler elle aussi une forte audience avec ses cadres à messages ces dernières années. Aujourd'hui, elle fait face au même dilemme que Vorderstrasse: adopter la vidéo ou être négligée par l'algorithme.

«L'élément clé pour l'algorithme aujourd'hui, ce sont les gens qui sauvegardent et partagent vos contenus, analyse-t-elle. Avant, c'était l'engagement. Aujourd'hui, ça récompense principalement les mèmes et la comédie -c'est-à-dire ce que les gens partagent et sauvegardent»
Maya Vorderstrasse

«Je ne suis pas comédienne, je suis plus quelqu'un qui prend des photos. Et aujourd'hui, c'est genre ?Oh mon Dieu, faire des vidéos pour que les gens veuillent les partager et les sauvegarder?? C'est juste un revirement total. Je veux m'y faire. Mais en ce moment, j'essaie surtout de tout concilier comme je peux», ajoute Raybould, qui a récemment donné naissance à son quatrième fils.

Préparer l'après

À voir les mamans influenceuses tenter de s'en sortir avec l'algorithme d'Instagram, il semble parfois qu'elles sont finalement dans la position qu'occupent la plupart des femmes par rapport au pouvoir: en dehors et devant compter les unes sur les autres pour espérer s'en sortir. Katie Crenshaw est une maman influenceuse qui vit dans la région d'Atlanta. Elle est optimiste au sujet du passage à la vidéo - «Si je m'y mets et que je m'y fais, ça ira» - et elle a appris à s'appuyer sur son réseau informel de mamans influenceuses pour l'aider à lire l'avenir dans les feuilles de thé algorithmiques à mesure qu'elles se réarrangent:

«Ils [Instagram] ne nous disent quasiment rien. Même les gens qui sont allés les voir personnellement n'ont pas appris grand-chose. Alors on fait attention. On se donne des conseils. Et puis tout change à nouveau dès que l'on commence à se dire que l'on a compris.»

La plupart des mamans influenceuses professionnelles ont déjà des plans de secours en cours d'élaboration.

Sara Tasker, autrice et experte d'Instagram qui donne des cours aux influenceurs sur les stratégies de contenus, m'a dit que, pour des mères qui ont passé des années à documenter leur vie en photo, s'adapter aux changements incessants de la plateforme est extrêmement difficile:

«Quand vous vous êtes créé un personnage en images, il n'est déjà pas facile de passer à la vidéo, alors vous imaginez quand il s'agit de le faire de manière professionnelle, à un très haut niveau, en comprenant immédiatement le jargon de ce média entièrement nouveau. C'est comme arriver dans un pays étranger dont on ne parle pas la langue. Et on est vraiment sur une corde raide quand on est déjà connue pour avoir un certain professionnalisme. Les abonnés s'attendent à un certain niveau.»
Sara Tasker, autrice et experte d'Instagram

Travailler l'algorithme n'est pas nécessairement un problème pour les jeunes influenceuses, qui ne font que passer, s'amusent avec les dernières tendances et ont tout le temps qu'il leur faut pour bricoler des effets et apprendre de nouvelles astuces dans leur chambre. Mais beaucoup de mamans influenceuses ont déjà dix ans de carrière dans les réseaux sociaux et elles n'ont pas tout ce temps pour apprendre à utiliser de nouveaux outils -pour elles, cela se limite souvent à quelques heures le soir une fois les enfants couchés.

La difficile réalité

Pour celles qui opèrent la transition, ce qui avait commencé comme un plaisir est aujourd'hui devenu un travail à part entière. Les mamans influenceuses qui ont des facilités avec la vidéo vont surfer sur cette vague avec succès de la même manière que Vorderstrasse et Raybould ont surfé sur la vague des cadres à messages, mais que se passera-t-il quand arrivera la prochaine tendance?

Raybould va sortir un livre pour enfants l'année prochaine. Crenshaw a déjà publié plusieurs livres pour enfants et elle souhaite se lancer dans un projet de coaching. Vorderstrasse adorerait, pour sa part, travailler dans le marketing de l'influence, mais du côté des entreprises, pas en tant que créatrice de contenus.

Le travail d'une influenceuse sur Instagram est de gommer le travail, justement, d'apparaître naturelle, mais cela n'a jamais été aussi difficile qu'aujourd'hui. Pour les mamans influenceuses qui sont devenues expertes dans le contrôle d'une certaine image, les contraintes que cela représente pourraient bien finir par dépasser les avantages.

Cet article a été publié initialement sur Slate. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

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