Nicole Shanahan, c'est elle.
Mardi, cette riche avocate californienne brisait enfin le suspens. Après plusieurs jours de spéculations, Robert Kenndy Jr. a officiellement nommé Nicole Shanahan, 38 ans, en qualité de colistière. Elle deviendra ainsi vice-présidente des Etats-Unis, pour peu que le candidat indépendant accède à la fonction suprême le 5 novembre prochain. Leurs chances sont infimes, mais la capacité de nuisance du binôme bouscule jusqu'à la sérénité de Joe Biden. Preuve en est, le nouveau groupe de pression démoulé par les démocrates, dans la foulée de cette nomination et dans l'espoir de leur barrer plus fermement la route.
Le contexte est important. Avec cette candidature, RFK Jr. et sa nouvelle colistière parasitent volontairement le duel Biden-Trump, menaçant de piquer des voix au président. Mais ils tournent surtout le dos à leur couleur politique. Alors que les idées et le programme du neveu de JFK créent le malaise au sein de sa célèbre famille, Nicole Shanahan, une démocrate pur jus et une «progressiste de bout en bout», abandonne sèchement Joe Biden. Celui qu'elle avait pourtant soutenu et financé durant la campagne de 2020. Une trahison? Le mot est peut-être un peu fort, mais les conséquences sont là.
Ainsi, mardi, sur cette estrade californienne scrutée par tout le pays, elle n'avait d'autres choix que de rompre.
Bruyamment.
Si RFK Jr. est un antivax convaincu, sa jeune partenaire, moins frontale, «s'interroge sur les blessures causées par les vaccins» et considère qu'il est important que «tout le monde fasse ses propres recherches» à ce sujet. Soit.
De son côté, Kennedy affirme avoir dégoté sa perle rare avec cette «brillante technologue».
Cette échappée en duo, loin des grands partis, draine déjà des électeurs de chaque côté de l'échiquier. Comme le résume très bien Politico, les «mécontents derrière Robert F. Kennedy Jr. ne demandent pas ce que leur gouvernement peut faire pour eux, mais ce qu'il leur fait». Si la rancoeur des anciens fidèles sera pénible à affronter pour les démocrates, la riche avocate de San Francisco est peut-être bien la citoyenne insatisfaite la plus coriace des Etats-Unis. Son parcours personnel, qu'elle décrit elle-même comme «chaotique», est bel et bien une arme de persuasion massive pour la campagne de RFK Jr.
Parce qu'elle a plusieurs vies à son actif, Nicole Shanahan.
Commençons par la dernière en date. En 2024, cette bobo de la Silicon Valley cumule les clichés du genre. A savoir fonder des startups à Palo Alto, siffler des latte macchiato à 22 dollars et rencontrer ses futurs maris à un festival de yoga, puis à Burning Man. Après s'être passionnément immergée dans le droit des brevets, elle glissera ses orteils dans une bonne collection de sociétés technologiques et de conseils d'administration.
La santé du corps, du coffre-fort et de l'esprit, mais aussi de la (bonne) conscience. C'est ainsi qu'en 2019, la puissante juriste crée sa propre fondation, Bia-Echo, qui financera notamment un groupe de travail de la Maison-Blanche sur la faim et la nutrition du peuple américain.
Vous vous êtes arrêtés aux maris? Vous avez bien fait, car la vie sentimentale de Nicole Shanahan va profondément bouleverser son parcours. Mariée, puis rapidement divorcée avec l'investisseur Jeremy Asher Kranz, elle va ensuite trébucher sur le gendre idéal, lors du très chic festival de yoga Wanderlust, au bord du lac Tahoe.
L'heureux élu? Sergey Brin. Qui n'est autre que le cofondateur de Google. Rencontre en 2014, coup de foudre en 2015, mariage en 2018, puis une fille, baptisée Echo (oui, comme sa fondation). Un miracle pour cette trentenaire que les médecins disaient stérile. Ce sera d'ailleurs l'un de ses combats, mais de loin pas le seul: non seulement Echo est une petite fille autiste, mais Monsieur Google demandera le divorce en 2022, à la suite d'une affaire de fesses qui implique un certain Elon Musk.
La petite communauté de la Silicon Valley (et, avec lui, le monde entier) va s'étrangler à la lecture du Wall Street Journal, qui affirme que Nicole a couché avec le patron de Tesla. Un «mensonge et une belle connerie», réagira Musk. La femme de Brin, elle, sera prise dans un «tourbillon infernal» et n'avait «jamais rien vécu de tel». En juillet 2022, elle se confiera longuement au magazine People, et notamment sur cette impression que, d'une seconde à l'autre, «on n’a plus aucune idée de ce qui se passait dans sa vie».
Dans la foulée du scandale, une révélation: la vie d'épouse de multimilliardaire est un vertige d'insatisfactions. «Je n'étais clairement pas la meilleure version de moi-même», dira-t-elle en pointant du doigt «l'isolement» et la «dramatique déconnexion» des ultrariches, alors qu'elle voulait simplement faire un «vrai boulot».
Loin des cryptos et des paillettes, il faut chercher ses racines démocrates dans une enfance cabossée, avec «beaucoup de tristesse, de peur, d'instabilité, de violence». Entre l'aide sociale, le frigo vide et les «trois seuls T-shirts qui m'allaient», il y avait une maman d'origine chinoise, nettoyeuse puis comptable. Un père allemand et irlandais, mais aussi schizophrène, bipolaire et toxicomane. Dont «la prise en charge» par l'Etat laissait «franchement» à désirer.
Sur scène, mardi dernier, cette groupie des Talking Heads s'est empressée de rapatrier son passé. Pour déclarer sa flamme à Robert Kennedy Jr. mais surtout flinguer Joe Biden: «Je pense à mon père quand je vois les statistiques des millions d'Américains qui sont dépendants, déprimés ou qui souffrent».
Si le message politique est fort, c'est parce que l'expérience est personnelle. Si la philanthrope californienne a trahi Joe Biden, c'est parce qu'elle s'est sentie trahie par un président (et un parti) qui a «abandonné ses citoyens en devenant le parti de l'élite» et elle «ne vient pas de là». Avec cette puissante démocrate, déçue et en colère, le neveu de JFK marque les mêmes points qu'avec son pedigree. Ses électeurs, acquis ou à venir, n'ont pas oublié l'empreinte des Kennedy sur la société américaine et se fichent pas mal de la brouille entre leur poulain et les membres de sa famille.
Il y a quelques mois, certains pouvaient voir en Robert F. un ersatz de Donald Trump, à peine moins républicain. Il faisait surtout de l'oeil aux férus de libéralisme exacerbé, mené par des ultraconservateurs comme Elon Musk. L'arrivée d'une tech-girl «bien sous tous rapports» comme Nicole Shanahan confirme les craintes de l'équipe de campagne de Joe Biden: les mécontents ont désormais trouvé une nouvelle famille démocrate, méfiante des institutions ou de la Big Pharma, et avide d'une indépendance qui rencontre un écho à deux chiffres dans les sondages.