La dernière fois que l'on s'est moqué du «fou» aux pupilles d'azur, c'était à l'occasion du Super Bowl. Profitant d'une audience éléphantesque, l'un de ses Super Pacs avait jugé intelligent de propager une publicité trafiquée, comparant la campagne de Robert Kennedy Jr. à celle de son illustre tonton, John Fitzgerald. Le spot coûtera sept millions de dollars, toute la famille avalera de travers et RFK Jr. se retrouvera contraint de s'excuser publiquement.
De loin, ça pouvait ressembler à une très mauvaise idée et à un affront gênant pour le candidat à l'élection présidentielle. Or, dans l'esprit de ceux qui pourraient voter pour le célèbre neveu le 5 novembre prochain, il n'en est rien.
N'oublions pas que cette publicité cite le patronyme «Kennedy» une quinzaine de fois en trente petites secondes. Et le fait que les membres de sa prestigieuse famille le considèrent désormais comme un candidat dangereux et nuisible pour le pays, ne le prive pas pour autant de l'aura de son ascendance. Robert est, et demeurera, un Kennedy. Pour son vivier de partisans, à l'instar de Donald Trump avec la justice, cette «injuste» mise au ban prend des airs de chasse à l'homme et le hisse peu à peu en martyr d'un nouveau genre.
En octobre dernier, cet avocat spécialisé dans le droit environnemental (mais climatosceptique) avait annoncé coup sur coup son divorce avec le parti démocrate et le début de sa campagne électorale en solitaire, pour pouvoir s'occuper «au mieux» de «cette marée montante de mécontentement» aux Etats-Unis.
Une sacrée mission, mais qui a l'avantage (pour lui) de rencontrer un large écho. La jauge d'Américains globalement mécontents est aussi dense que celle des électeurs fatigués d'avance par l'énième duel Trump-Biden. Sans compter que les sondages créditent régulièrement RFK Jr. d'un score supérieur à 20%, s'il venait à affronter les deux dinosaures jusqu'au dernier kilomètre.
Le neveu Kennedy projette de révéler l'identité de son colistier ce mardi. Evidemment, plusieurs noms circulent déjà dans les bouches autorisées. La papable la plus citée s'appelle Nicole Shanahan, une avocate et femme d'affaires de San Francisco, ex-épouse du cofondateur de Google Sergey Brin, mais surtout donatrice principale du candidat indépendant. Pour l'anecdote, en 2022, Elon Musk niait avoir couché avec cette femme de 38 ans, en marge d'Art Basel, comme l'affirmait le Wall Street Journal.
Inexpérimentée politiquement, elle a en revanche les poches pleines d'argent, des amis puissants et fortunés, sans oublier un parcours de vie suffisamment difficile pour faire pleurer dans les chaumières. Pressenti durant une bonne semaine, Aaron Rodgers, le quart-arrière des Jets de New York, aussi complotiste et anti-vaccin que RFK Jr., a néanmoins peu de chances d'être officiellement nommé.
Les autres rumeurs concernent Jesse Ventura, lutteur et ancien gouverneur du Minnesota, ou encore l'entrepreneur Andrew Yang. Si Nicole Shanahan est en tête des pronostics, c'est surtout grâce à (ou à cause de) son porte-monnaie. Bien que les sondages se montrent particulièrement doux avec Robert Kennedy Jr., défier Donald Trump et Joe Biden coûtera très cher.
Vraiment très cher.
Pour de nombreux observateurs américains, l'annonce imminente d'un vice-président potentiel a tout pour renforcer et crédibiliser sa campagne. Cette nomination pourrait même inciter les donateurs à se montrer beaucoup plus généreux.
Un effet boule de neige que son clan espère vivement pouvoir propager aux bulletins de vote, sur lequel le fantasque avocat doit encore pouvoir inscrire son nom. C'est l'autre immense épine dans le pied du candidat Kennedy. Un défi extrêmement coûteux et qui requiert «plusieurs centaines de milliers de signatures à travers le pays», comme le rappelle Politico. Officiellement inscrit en Utah, RFK Jr. jure qu'il a déjà obtenu les signatures nécessaires au Nevada, à Hawaï et au New Hampshire. Et l'un de ses Super Pacs, Michigan, affirme avoir déjà réglé son affaire à la Caroline du Sud, l'Arizona et la Géorgie. Soit.
Etant donné que l'accès au scrutin est une étape sensible, le président Biden a déjà pris ses dispositions pour atomiser toute concurrence extérieure. Selon NBC News, les démocrates ont non seulement monté un gang de saccageurs, mené par la militante Lis Smith, mais aussi défini l'ennemi à abattre en premier: Robert Francis Kennedy Jr. De quoi crédibiliser d'autant plus sa mission, qui consiste officiellement à pirater le duel des dinosaures.
Pourquoi le candidat Biden a-t-il les boules? Pour deux raisons. Déjà, en 2020, ce sont de nombreuses, mais petites victoires qui lui ont permis de remporter l'élection présidentielle. Comme les 0,2% en Géorgie ou les 0,3% en Arizona, pour ne citer que ceux-là. Ensuite, il est probable que l'entreprise de sape de RFK Jr. bénéficie majoritairement au républicain Donald Trump.
Et il faudra sans doute remercier la poussée libertarienne qui chauffe le pays de l'Oncle Sam.
Car le candidat indépendant drague de plus en plus frontalement les adeptes du libertarianisme, cher au président argentin Javier Milei et à Elon Musk (encore lui). Le patron de la plateforme X lui avait d'ailleurs déroulé le tapis rouge pour catapulter sa candidature en 2023. Comme le définit le politologue français Sébastien Caré, dans Le Temps, le libertarianisme est «une forme radicale et utopique du libéralisme, qui projette la logique du marché sur tous les aspects de la vie sociale». Un premier avantage conséquent pour RFK Jr., puisque le poisson à pêcher nage autant à l'extrême gauche qu'à l'extrême droite de l'échiquier politique.
Mais ce n'est pas tout. Contrairement au neveu Kennedy en disgrâce familiale, ils ont leur propre structure politique aux Etats-Unis. Si bien que, ces dernières semaines, la présidente du Parti libertaire, Angela McArdle, a plusieurs fois tapé la discute avec le candidat indépendant. Si RFK Jr. n'est pas lui-même un libertarien convaincu, son profil atypique et son succès dans les sondages pourraient séduire le mouvement, en mal d'une personnalité rassembleuse. Sa présence à la convention du mouvement, le 24 février dernier, prouve qu'il n'est pas indifférent à la parade amoureuse qui est en train de s'installer.
Et Biden peut réellement commencer à trembler. Car si RFK Jr. devenait prochainement le candidat désigné du Parti libertarien, il serait automatiquement inscrit sur les scrutins des 50 Etats du pays. L'immense épine dans son pied se ferait ainsi la malle, comme par magie.
Bien sûr, les chicanes sont encore nombreuses. La plus importante, comme souvent, est idéologique. Kennedy est ouvertement pro-israélien et n'a jamais appelé à un cessez-le-feu à Gaza. Pour Angela McArdle, c'est un «potentiel et sérieux point de friction» pour les membres du parti. Mais, d'ici là, avec ou sans les libertariens dans son camp, sa promesse de pourrir l'élection présidentielle a encore de beaux jours devant elle.