Pourquoi l'huile militaire la plus puissante des Etats-Unis a-t-elle choisi le lendemain de l'affaire des missiles en Pologne pour douter publiquement d'une victoire militaire totale de l'Ukraine?
Mark Milley, chef d'état-major américain: "L'expulsion des Russes de toute l'Ukraine est improbable militairement" pic.twitter.com/iP1WkwYJNU
— BFMTV (@BFMTV) November 17, 2022
Certes, Mark Milley, général et chef d'état-major, a pris la peine de lister les échecs russes successifs avant de propager ce gros soupire de découragement. Mais pile au moment où Volodymyr Zelensky s'est fourré tout seul dans une zone de turbulences diplomatiques et où son pays traverse une vague inégalée de bombardements, ce timing a de quoi surprendre. Surtout, se résoudre à annoncer une sorte de match nul éternel entre les deux camps, c'est sous-entendre, en forçant un peu le trait, que Vladimir Poutine aurait déjà remporté une partie de la guerre.
D'un côté, Zelensky n'en démord pas: les missiles fauteurs de trouble sont du fait des Russes. Même s'il a avoué, jeudi, «ne pas savoir «ce qu'il s'est véritablement passé», le président ukrainien parle de «preuves» et quémande un laissez-passer pour mettre son nez dans les enquêtes. Le voilà seul contre tous, alors que les rares éléments établissant une origine ukrainienne des missiles sont encore habillés d'un épais conditionnel. Ce qui n'a pas empêché la plupart des observateurs de considérer qu'il a «manqué une occasion de se taire», que sa parole est désormais «décrédibilisée». Qu'il est «sympathique, mais...»
De l'autre, l'Otan. Plutôt rapide au réveil, elle a parfaitement joué son rôle de pacificateur, de puissant organisme défensif. Le doigt sur le cran de sécurité, la communauté internationale a évité l'escalade. Une bonne nouvelle en soi et une mission assumée par Joe Biden en personne, la nuit même de la «crise polonaise».
Alors que l'enquête, menée notamment par le Pentagone, venait tout juste de démarrer, le président démocrate aurait très bien pu s'en tenir à la deuxième partie de sa déclaration. «Nous verrons». Point. Comme l'a d'ailleurs décidé Emmanuel Macron: cette espèce de prudence neutre, partagée par la plupart des pays d'Europe de l'ouest. Mais le politologue français Bertrand Badie nous le confiait mercredi: «Joe Biden n'avait pas à dédouaner si vite la Russie pour signifier sa volonté d'éviter l'escalade».
Coup sur coup, les Etats-Unis viennent ainsi d'innocenter l'armée de Poutine et douter de la victoire de celle de Zelensky. En langage diplomatique, ça peut cacher un coup de billard à trois bandes. Comme si les missiles de la discorde risquaient moins d'embraser le conflit armé, que des négociations plus larges et à plus long terme, notamment entre les deux grandes puissances mondiales. Le 9 novembre dernier, les Etats-Unis et la Russie s'étaient par ailleurs entendus sur la reprise de vieux pourparlers, au Caire, autour d'un accord clé: le désarmement nucléaire mutuel.
Mais y a-t-il davantage en jeu?
La paix est évidemment un objectif commun. C'est sa définition, toujours, qui diffère d'un camp à l'autre. Et encore plus aujourd'hui. Voir Zelensky et la communauté internationale se contredire à ce point publiquement, sur un incident que tout le monde (ou presque) voudrait rapidement oublier, fait curieusement émerger de nouvelles inconnues quant à l'agenda, aux acteurs et aux conditions d'un cessez-le-feu.
Il reste désormais à croiser les doigts pour que les différentes enquêtes ne débouchent pas, prochainement, sur une responsabilité russe. Mais qui, aujourd'hui, aurait vraiment intérêt à le savoir et, plus encore, à le révéler?