L'élargissement du casting ministériel n'aura pas eu lieu. Lors du remaniement du gouvernement, ce 4 juillet, par Emmanuel Macron, deux semaines après les élections législatives ayant signé la perte de la majorité absolue du mouvement présidentiel, la première ministre Elisabeth Borne est restée en fonction. Par ailleurs, nulle coalition n'a pointé le bout de son nez, aucune personnalité de la droite classique, ou communiste, n'a rejoint les rangs de l'exécutif, contrairement à ce que beaucoup d'observateurs avaient estimé possible, voire probable.
Bref, la nouvelle équipe macronienne n'a pas grand-chose de nouveau. Ce qu'elle a de remarquablement neuf consiste même en de l'ancien: Marlène Schiappa, qui avait quitté son poste de ministre, il y a un mois et demi, en mode «j'arrête la politique, j'en ai marre», est de retour dans la team. Un peu de républicanisme avec ce come-back d'une figure «laïque», un peu de multiculturalisme perpétué à la tête de l'Education nationale en la personne de Pap Ndiaye: Macron continue sur sa ligne, plaire à tout le monde.
Mais il y a un autre plan sur lequel s'exerce ce côté «en même temps» du chef d'Etat, selon l'expression consacrée. Cette manie de «Manu», que d'aucuns qualifient de manque de consistance, voire pire, d'hypocrisie, quand d'autres y voient une recherche d'équilibre, s'applique aujourd'hui à une réalité devenue omniprésente dans la vie politique française: les «affaires».
Le ministre des Solidarités, de l'Autonomie et des Personnes handicapées, Damien Abad, lui-même atteint d'arthrogrypose, une maladie congénitale, a ainsi été démis de ses fonctions, à peine installé. C'est que le député et conseiller départemental de l'Ain, issu des Républicains, a fait l'objet de dénonciations sur la place publique pour viol, tentatives de viols et agressions sexuelles, à partir du jour même de son entrée en poste. Une situation intenable pour ce magistrat qui se définit comme un grand défenseur du féminisme.
S'il a une enquête ouverte contre lui pour «tentative de viol» à la suite de ces accusations médiatiques, Damien Abad n'est néanmoins pas mis en examen, contrairement au ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, qui lui est resté au gouvernement. Le garde des Sceaux, aux responsabilités depuis juillet 2020, est soupçonné d'avoir profité de son statut pour régler des comptes avec des magistrats lorsqu'il était avocat. Selon Le Monde, c'est le premier ministre en exercice à être mis en examen.
Alors, la première ministre et le président de la République pratiquent-ils le «deux poids, deux mesures»? C'est l'avis de plusieurs éditorialistes à s'être exprimés sur le sujet, évoquant d'autres accusations à l'égard de membres du gouvernement, ce qui rend la question encore plus légitime.
Jean-Michel Apathie (de tendance centre droit), cite par exemple le cas d'Eric Coquerel, élu comme président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, accusé d'agressions sexuelles (ou de drague lourde):
Donc, une femme s’est manifestée, une plainte est déposée. Question: @ericcoquerel peut-il rester à la tête de la commission des finances ou la jurisprudence @damienabad doit-elle être appliquée? Bientôt, les réponses de @sandrousseau et @Clem_Autain Etonnant, non?#JeSuisWoke
— jean-michel aphatie (@jmaphatie) July 4, 2022
Manuel Bompard (de sensibilité de gauche radicale) mentionne quant à lui Chrysoula Zacharopoulou, ministre accusée par des femmes de les avoir violées dans le cadre de ses activités de gynécologue:
Manuel Bompard revient sur le principe de l'exemplarité en politique posé par Elisabeth Borne : "Elle pose un principe moral qu'elle n'applique pas elle-même. Elle ne renouvelle pas Damien Abad et dans le même temps renouvelle Chrysoula Zacharopoulou" face à @SoMabrouk #Europe1 pic.twitter.com/h7HbsXMB3R
— Europe 1 🎧🌍📻 (@Europe1) July 5, 2022
Ces critiques survivront-elles au lendemain du remaniement, où tout le monde y va de son commentaire? C'est fort possible. Car elles touchent à bien plus que la cohérence du dispositif Macron. Elles appellent en effet la question suivante: si l'accusation d'une personne, dans la presse ou ailleurs, suffit à elle-même et sans la confirmation de la justice pour qu'une démission ou un licenciement s'ensuive, quels critères peut-il bien y avoir pour épargner certaines personnes de cette loi de la rumeur? Et comment envisager qu'elle ne puisse pas devenir une arme politique? Un vrai sujet.