Combien de duels France insoumise-Rassemblement national au deuxième tour? «Tout le monde est à la recherche de ce chiffre, il pourrait être déterminant. Sans doute ces duels seront-ils nombreux.» Spécialiste de la gauche, le politologue Bruno Cautrès n’avait pas le temps d’en dire plus, ce lundi matin. Mais à ce stade, sûrement avait-il dit l’essentiel.
Au lendemain du premier tour des élections législatives anticipées, dont le Rassemblement national est sorti grand gagnant avec 33,2% des voix à l’échelle nationale, une nouvelle campagne commence en vue de dimanche prochain, date du second tour.
Tout tourne autour d’une question: le RN (avec le renfort de ses alliés républicains dissidents) aura-t-il la majorité absolue de 289 sièges à l’Assemblée nationale? Les projections lui en accordent pour l’heure entre 240 et 270. Mais tout peut encore évoluer.
Pourquoi mettre la focale sur les duels LFI-RN de deuxième tour? Parce que La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon rebute l'électorat macronien, qui sera appelé à arbitrer entre la gauche radicale et l’extrême droite. On touche un point sensible, celui des désistements et consignes de vote avant le 7 juillet.
En théorie, tout le monde, tous partis confondus, sauf les alliés du RN, appelle à faire barrage au Rassemblement national. Hier soir, premier de la coalition de gauche Nouveau Front populaire (NFP) à prendre la parole après l’annonce des résultats, Jean-Luc Mélenchon a été clair: les candidats NFP arrivés troisièmes au premier tour derrière un RN et un membre d’Ensemble (l’étiquette de la majorité présidentielle macroniste), sont tenus de se retirer de la course, de manière à favoriser le ou la candidate d’Ensemble et à battre le Rassemblement national. Cet appel vaut aussi pour un ou une représentante du parti de droite Les Républicains (non pro-RN).
Seulement voilà, et la presse de gauche le lui reprochait ce lundi matin, Jean-Luc Mélenchon n’a pas pu s’empêcher de «provoquer». Tout en appelant aux désistements des siens quand nécessaire, il est apparu aux côtés de Rima Hassan, élue sous l’étiquette LFI le 9 juin au parlement européen. La jeune femme, qui a fait une campagne européenne entièrement axée sur le drame de Gaza et son opposition résolue à Israël, portait un keffieh palestinien sur les épaules. Ce symbole et la présence de Rima Hassan avaient quelque chose de décalé dans le contexte des législatives. Le tout dans un climat d’antisémitisme grandissant depuis le 7 octobre.
Dans un éditorial du 22 juin, à l'approche du premier tour des législatives, le quotidien Le Monde taclait Jean-Luc Mélenchon:
Le «père» de la France insoumise n’a lui-même cessé ces dernières années et derniers mois les allusions jugées antisémites.
Interrogé ce lundi matin par la radio France Inter, celui qui est pour quelque jours ou semaines encore le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a écarté la possibilité, le concernant, de voter pour un candidat LFI opposé au deuxième tour à un représentant RN. Invoquant ses «valeurs», il a déclaré:
Il n’a, en revanche, pas exclu de voter pour un communiste, un écologiste ou un socialiste pour barrer la route au RN.
Le camp macronien n’a pas une position tranchée sur la question des consignes de vote. Emmanuel Macron n’a toujours pas fait connaître la sienne, lui qui renvoyait les «extrêmes» de droite et de gauche dos à dos avant le premier tour. Dimanche soir, le premier ministre Gabriel Attal, qui vient de la gauche PS, s’est montré relativement clair en appelant les candidats Ensemble arrivés troisièmes au premier tour à se désister en vue du second. Mais seulement pour avantager «un autre candidat qui défend les valeurs de la République», a-t-il précisé. Cela élimine a priori tout LFI qui aurait fricoté avec l’antisémitisme et l’islamisme, comprend-on.
On s'interroge sur les raisons de la «provocation» de Jean-Luc Mélenchon, se montrant hier accompagné de Rima Hassan, une «machine à voter RN», disent les détracteurs de la jeune femme. Certains y voient une envie secrète de donner Matignon, le siège du premier ministre, au président du RN, Jordan Bardella, afin de se poser en recours pour la prochaine présidentielle, la seule élection qui intéresserait vraiment Jean-Luc Mélenchon.
D’autres, comme l’ancien rédacteur en chef du Nouvel Obs, Claude Weill, y voient un calcul électoral pour la période présente:
Erreur d’analyse.
— Claude Weill (@WeillClaude) June 30, 2024
Mélenchon fait de la politique.
Rima Hassan est répulsive pour ceux qui de toute façon ne voteront jamais LFI.
Elle est son meilleur agent électoral auprès des étudiants, des jeunes des cités et de la communauté musulmane https://t.co/CiaVFEiG2l
La voix remplie d’émotion, la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, a fustigé, ce lundi matin, au micro de France Inter, celui qui s’y était exprimé avant elle. «Ce que vient de faire Bruno Le Maire (réd: ne pas appeler à voter pour un candidat LFI confronté à un RN au second tour), c’est un comportement de lâche et de privilégié», s’est fâchée celle qui est élue de l’opposition municipale dans une ville tenue par le RN, Hénin-Beaumont, la circonscription dans laquelle Marine Le Pen a été réélue députée dimanche au premier tour.
Et les provocations de Mélenchon?, a demandé le journaliste à la secrétaire générale des Ecologistes. «On s’en fout de Mélenchon», a-t-elle rétorqué. Ajoutant:
Le fait que les partis de la coalition NFP n’aient pas désigné de premier ministrable en cas de victoire au deuxième tour brouille le message de la gauche face à un RN très sûr de lui, estime-t-on chez les commentateurs. Ce flou ne permet pas d’écarter l’hypothèse Mélenchon, un repoussoir pour beaucoup d’électeurs RN comme non-RN.
Sur son site, BFMTV écrit qu«un duel RN-NFP est prévu dans 64 circonscriptions». Combien de LFI parmi les candidats NFP? La majorité absolue de RN se joue peut-être à ce «détail».