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Grève 19 janvier: feu à volonté sur les milliardaires

Le Français Bernard Arnault (en cravate), l'homme le plus riche du monde, ne fera pas la grève le 19 janvier 2023.
Le Français Bernard Arnault (en cravate), l'homme le plus riche du monde, ne fera pas la grève le 19 janvier 2023.Image: AP
Analyse

Grèves en France: feu à volonté sur les milliardaires

«Nous voulons une France sans milliardaires. A quoi ils servent? A rien!» La gauche a trouvé un nouvel ennemi numéro un. Alors que des grèves et des manifestations monstres s'apprêtent à secouer le pays contre la réforme proposée par le gouvernement Macron, certains voudraient les voir combler le déficit attendu des retraites. Réaliste?
19.01.2023, 05:5519.01.2023, 09:03
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Emmanuel Macron les surnommait affectueusement les «premiers de cordée». Sous-entendu, on compte sur eux pour faire ruisseler le pognon qu'ils engrangent. On les appelle aussi les 1%, les intouchables, les grandes fortunes. Certains, et notamment la Nupes ces derniers jours, s'en tiendraient sûrement à un sobre «connards», si seulement on leur demandait.

Mais personne ne sait précisément ce qu'est un riche.

En 2007, Hollande considérait qu'un Français était riche à partir d'un salaire mensuel net de 4000 euros. En 2021, Bayrou évoquait le même revenu, mais pour définir la «classe moyenne». Cocasse: les deux François avaient fait s'étrangler les citoyens.

«Je ne vais pas prétendre qu'ils sont riches, parce que derrière le mot riche, il y a une accusation de privilèges qu'on connaît bien dans notre pays, il s'agit de stigmatiser, de cibler»
François Bayrou, en 2021

Parler d'argent, surtout en France, surtout quand les inégalités sont béantes, surtout au moment où Macron compte repousser l'âge du départ à la retraite, c'est touchy. «Les riches n’ont pas intérêt à dire qu’ils le sont. Pour ne pas avoir à faire preuve de solidarité, mieux vaut se dire de la classe moyenne supérieure», disait Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, en 2019.

Seule certitude, ceux qui se posent la question ne le sont pas. Et une grande partie d'entre eux iront manifester ce jeudi, dans toute la France.

Le milliardaire au chevet du retraité français?

Plus d'un million de citoyens sont attendus. C'est en tout cas ce que promettent la gauche et les syndicats, et ce que redoute Emmanuel Macron. Nos voisins qui ne pètent pas dans la soie défileront dans la rue et des grèves monstres promettent de secouer une bonne partie du pays.

Mais la colère des élus les moins à droite et des citoyens les moins aisés semble avoir trouvé un autre responsable de leurs maux. Car si la réforme des retraites dégoupillée par le gouvernement Macron fâche en dolby surround, elle a le mérite d'avoir enfanté un ennemi dont le portrait-robot est mieux dessiné que la vague notion de «riche»: le milliardaire.

Dans le monde, il y en avait 2668 en 2022. La France en abrite 42. Marine Tondelier, députée EELV, les a empoignés par le col (blanc) mardi soir: «Le gouvernement a choisi. Il préfère tuer des centaines de milliers de gens au travail plutôt que de taxer 42 personnes.»

Jusqu'à affirmer:

«Nous voulons une France sans milliardaires! A quoi ils servent? A rien»
Marine Tondelier, députée EELV, mardi soir.

La Nupes a donc utilisé le milliardaire comme une piñata, durant son meeting général contre la réforme des retraites qui embrase le pays. Et Marine Tondelier ne s'est d'ailleurs pas contentée de vouloir éradiquer les 42 plus grandes fortunes de l'Hexagone. Elle compte bien faire de la France une ZAD: «Oui, je vous le confirme, nous serons une zone à défendre dans les prochaines semaines».

Pour Henri Sterdyniak, marqué à gauche, «il ne faut pas tout mélanger. Marine Tondelier a raison de dire qu'une partie des milliardaires ne servent pas à grand-chose. Mais penser qu'on peut financer les retraites de manière pérenne en ponctionnant les ultra-riches, c'est totalement absurde». L'économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (et spécialiste des retraites) n'est pourtant pas une groupie d'Emmanuel Macron.

Selon lui, cette réforme est même «profondément injuste» puisqu'elle «frappe de manière brutale les ménages les plus faibles. Mais c'est surtout une solution de facilité que de réformer les retraites, au lieu de se concentrer sur le pouvoir d'achat des Français.»

«Les pauvres ont besoin d'un logement, de nourriture et de soins. C'est une politique pour l'intérêt commun qu'il faut. Une taxe sur les gains boursiers a peu de chance de finir dans la poche d'un retraité»
Henri Sterdyniak, économiste et spécialiste des retraites.

Philippe Martinez, gourou des grévistes et patron de la puissante CGT, reproche notamment à Emmanuel Macron de triturer le joystick de l’âge du départ à la retraite plutôt que de réquisitionner «les plus hauts patrimoines», en arguant que «ce n'est qu'au monde du travail qu'on demande des efforts, pas aux milliardaires». Une rhétorique qui suppose qu'aucun milliardaire ne ferait véritablement partie du «monde du travail».

Philippe Martinez.
Philippe Martinez.dr

Pour Henri Sterdyniak, qui voit aussi le patrimoine des milliardaires français d'un mauvais œil, certains ultra-riches ont «effectivement créé des emplois à travers leurs entreprises pour accéder à la richesse». Mais globalement, «l'impact direct sur l’emploi est beaucoup moins évident».

«Ça serait bien qu'on leur coupe l'électricité aux milliardaires dans leurs beaux châteaux. Qu'ils puissent se mettre dans la peau des quelques millions de foyers français»
Philippe Martinez, patron de la CGT, mercredi sur France 2.

Face à cette fronde anti-ultra-riches de dernières minutes, Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, s'est senti le besoin de répondre à la proposition brandie comme une punchline par Marine Tondelier. «Taxer quelques dizaines de milliardaires pour sauver les retraites? Cela revient à confondre la fortune personnelle d'un chef d'entreprise avec le capital d'une entreprise, c'est déraisonnable!»

La fronde vient de Davos

Or, cette nouvelle chasse aux ultrariches ne trouve pas tout à fait sa source dans la foire d'empoigne autour des retraites. Lundi, à Davos, le WEF a été la caisse de résonance d'un rapport explosif sur les inégalités, réalisé par l'ONG Oxfam. Selon elle, «taxer la fortune des milliardaires français à hauteur d’à peine 2% permettrait de financer le déficit attendu des retraites». Une proposition qu'Henri Sterdyniak a qualifiée, en l'état, de «démagogique». Même si l'économiste français souhaite, de manière générale, une plus grande contribution qu'aujourd'hui.

Pour l'anecdote, mercredi, 200 millionnaires ont d'ailleurs demandé, dans une lettre ouverte, à être davantage taxés. Des «millionnaires patriotiques» qui estiment que ce sont les inégalités de richesses «qui fragmentent le monde».

Le millionnaire britannique Phil White, mercredi, dans le cadre du WEF, dans les rues de Davos.
Le millionnaire britannique Phil White, mercredi, dans le cadre du WEF, dans les rues de Davos.
«Nous sommes surtout à un tournant écologique. Ce qui est urgent, c'est d'imaginer d'autres formes d’organisations»
Fabrice d’Almeida, sociologue et auteur du livre Histoire mondiale des riches, dans le Figaro.

«Dans les périodes de crise, quoi de plus facile que de les désigner comme coupables de la situation où l’on se trouve? Les Etats-Unis ou l’Autriche et l’Allemagne des années 1930 étaient très critiques contre les spéculateurs et les banquiers», analysait Fabrice d’Almeida, professeur d'histoire contemporaine dans Le Figaro. Depuis la nuit des temps, la société s'écharpe moralement sur la notion de bon et de mauvais riche. D'un côté, l'héritier qui dort sur un patrimoine qu'il ne mérite pas. De l'autre, celui qui, si possible parti de rien, carbure à l'huile de coude, stimule la consommation et crée des emplois. Un cliché des deux côtés?

Jeudi, une chose est sûre, le million de manifestants ne risquent pas de croiser la famille Arnault sur les Champs-Elysées.

Explosion à bord d’un pétrolier en Thaïlande
Video: watson
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