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Comment l'Ukraine a attiré l'armée russe dans un piège

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Des soldats russes dans la région de Kherson, en mai 2022. Moscou a déployé de nombreuses troupes dans la région.image d'archives: keystone
Analyse

Comment l'Ukraine a attiré l'armée russe dans un piège

La grande offensive ukrainienne dans le sud du pays a beaucoup fait parler d’elle. Mais n’était-ce au final qu’une feinte de l’armée ukrainienne?
25.08.2022, 06:1025.08.2022, 06:33
Patrick Diekmann / t-online
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t-online

Des tirs de défense antiaérienne et des explosions ont été entendus jeudi soir dans la ville de Kertch en Crimée. Des drones ukrainiens auraient été aperçus au-dessus de la péninsule annexée par la Russie. L'armée russe affirme avoir abattu trois objets. La ville de Kertch, étant l’artère vitale pour la Crimée entre la péninsule et le continent russe, continue d'être la cible d'attaques ukrainiennes. Le pont ferroviaire et routier rend l’approvisionnement de l’armée russe sur le front russe très vulnérable.

Les dernières explosions montrent une fois de plus que les installations militaires russes en Crimée sont très exposées. Selon les services secrets occidentaux, le Kremlin serait actuellement en train de retirer une partie des avions de combat et des hélicoptères de la péninsule. C'est un nouveau revers pour Vladimir Poutine.

L'Ukraine dispose désormais d'autres possibilités stratégiques grâce à des systèmes d'armes modernes venus d’Occident. Malgré cela, la grande attaque que les dirigeants ukrainiens avaient annoncée il y a plusieurs mois dans la région de Kherson n'a pas eu lieu. Cela pourrait faire partie de la stratégie militaire ukrainienne. Les troupes de Poutine sont de plus en plus prises au piège dans le sud.

La bataille la plus importante de cette guerre

Les deux camps ont déplacé de nombreuses troupes et du matériel militaire dans la région de Kherson au cours des dernières semaines. Les soldats ukrainiens ont réussi à empêcher une avancée des troupes russes au nord-est de Kherson, a déclaré jeudi un expert militaire ukrainien. Le conseiller du président Zelensky, Oleksiy Arestovytch, a déclaré dans un message vidéo qu'une impasse stratégique régnait actuellement. Depuis le mois dernier, les troupes russes n'ont fait qu'une «avancée minimale». Dans certains cas, les forces armées ukrainiennes ont même gagné du terrain.

L'armée russe en Ukraine (état au 12 août).
L'armée russe en Ukraine (état au 12 août).graphique: t-online

Mais l'armée ukrainienne n'a pas gagné de terrain autour de Kherson. La région est pourtant particulièrement importante d'un point de vue stratégique et c'est peut-être ici que le sort de l'Ukraine pourrait se jouer.

En voici les raisons:

  • La Russie a besoin de la région de Kherson pour l'approvisionnement de la Crimée, par exemple en électricité et en eau douce.
  • Kherson est considérée comme la porte d'accès à la côte occidentale de la mer Noire. Au début de la guerre, il était particulièrement important pour l'Ukraine de stopper l'avancée de l'armée russe au sud, afin de protéger entre autres l'importante ville portuaire d'Odessa. Si l'Ukraine devait être coupée de la mer Noire, le pays aurait probablement du mal à survivre économiquement.
  • Stratégiquement, le contrôle des passages sur la rivière Dnipro est important.
  • La région est importante pour l'agriculture et donc pour l'approvisionnement du pays.
  • Kherson a une grande valeur symbolique. Pour la Russie, il s'agissait de la première grande ville ukrainienne à être prise lors de l'attaque en mars dernier. De nombreux Ukrainiens ont protesté à Kherson contre les envahisseurs russes. Les dirigeants ukrainiens veulent montrer que l’Ukraine va se battre pour récupérer la ville du sud du pays.

Jeu d'échecs militaire autour de Kherson

Le terrain dans le sud de l'Ukraine est relativement étendu et favorise militairement le camp qui attaque. Au début, la région de Kherson a donc connu un va-et-vient permanent. Lorsque l'armée russe parvenait à conquérir quelques villages, l'Ukraine les récupérait par une contre-attaque.

Il est encore possible d'observer cette partie d'échecs à certains endroits du front, mais la situation a fondamentalement changé:

  • L'armée ukrainienne a réussi à détruire des ponts sur le Dnipro à Kherson. Il est actuellement difficile pour l'armée russe d'acheminer des marchandises sur la rive occidentale du Dnipro. La Russie dépend actuellement de pontons et cela devient de plus en plus problématique.
  • L'artillerie a été renforcée des deux côtés. Le bombardement continu réduit la mobilité des formations et rend les attaques plus difficiles.
  • Les soldats russes se sont positionnés et ont fortifié leurs emplacements pour sécuriser la région conquise. Jusqu'à présent, les avancées ukrainiennes vers la ville de Kherson ont pu être stoppées et repoussées depuis les faubourgs.

La lutte pour les ponts est en effet particulièrement acharnée. Les forces ukrainiennes ont récemment attaqué trois ponts sur le Dnipro, touchant également le pont Antonovsky – la dernière et la plus grande artère reliant la partie sud de la région à la partie nord.

«Ces frappes empêchent les Russes d'utiliser les ponts pour le transport d'équipements lourds», a déclaré Nataliya Humenyuk, une porte-parole du Commandement des opérations du sud de l'Ukraine. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent comment un pont a été attaqué par l'Ukraine avec le lanceur de missiles américain HIMARS.

«Cela n'a absolument aucun sens»
Un analyste militaire américain

Où est le piège?

Les destructions de ponts sont saluées comme un succès en Ukraine. Pourtant, elles ne suffisent pas pour contre-attaquer la Russie. Les forces ukrainiennes devraient traverser le Dnipro si elles voulaient reprendre Kherson.

L'Ukraine ne semble pas en mesure de le faire actuellement. Si une attaque de grande envergure est effectivement prévue, l'armée ukrainienne n'a plus beaucoup de temps. En automne, les troupes russes recevront probablement des nouveaux soldats, car les personnes effectuant leur service militaire pourront à ce moment-là obtenir des contrats de soldats professionnels.

La saison des pluies va également bientôt se manifester. Dans le vaste terrain du sud de l'Ukraine, les chars seront alors embourbés dans la boue. Alors que Poutine menace d'annexer la région de Kherson par un référendum en septembre, les attaques ne seront plus possibles dès le début de la saison froide.

L'annonce de la grande offensive ukrainienne n'était-elle donc qu'une feinte ou l'Ukraine a-t-elle surestimé ses capacités? «Je suis honnête avec vous. Je ne sais pas, mais c'est quelque chose qui me rend fou», a déclaré Konrad Muzyka, un analyste militaire et directeur de Rochan Consulting au journal américain Politico. Les experts ne savent pas pourquoi l'Ukraine a communiqué aussi ouvertement sur cette prétendue attaque. La Russie a donc naturellement déplacé des troupes vers le sud. «D'un point de vue militaire, cela n'a absolument aucun sens.»

Un succès stratégique pour l'Ukraine

Il n'est pas encore possible de dire si l'armée ukrainienne a renoncé à la contre-offensive par manque de munitions ou par ruse de guerre. Elle dispose certes de nombreux soldats et volontaires qui ont été formés aux armes en peu de temps, mais l'Ukraine manque toujours d'armes et d'équipements lourds.

Les deux camps ont également appris une leçon amère dans cette guerre. Dans la lutte contre les armes et l'artillerie modernes, il ne sert à rien d'envoyer des milliers de soldats au front. Ils deviennent de la chair à canon et les pertes sont immenses. Cela explique l'impasse actuelle dans le sud de l'Ukraine.

En analysant la guerre en Ukraine et l'endurance de l'armée ukrainienne, les observateurs oublient parfois que, malgré la livraison d'armes par l'Occident, il y règne toujours un grand déséquilibre militaire, en faveur de Poutine.

Le déroulement actuel de la guerre et l'absence d'attaque majeure dans le sud peuvent être considérés comme un succès pour l’Ukraine:

  • A l'est, l'armée ukrainienne était extrêmement sous pression. La Russie pouvait alors nettement mieux approvisionner ses troupes sur le plan logistique. En annonçant l'attaque dans le sud, l'Ukraine a forcé le Kremlin à déplacer des troupes. Cela a soulagé le front oriental et au sud, l'armée russe a maintenant de plus gros problèmes logistiques.
  • C'était la première fois dans cette guerre que la Russie devait réagir à une action de l'Ukraine. Auparavant, c'était toujours le commandement militaire russe qui décidait du lieu des combats.
  • La situation militaire actuelle immobilise une grande partie des troupes russes au sud et empêche en même temps la Russie d'y gagner du terrain. Les lignes d'approvisionnement sont plus facilement attaquables avec des lance-missiles et des drones.

Et maintenant?

Même si la grande offensive annoncée par l'Ukraine n'était qu'une ruse de guerre, il s'agissait néanmoins d'une prouesse stratégique. Forcer Moscou à déplacer ses munitions et soldats devrait être considéré comme «un assez grand succès», a également estimé Mykola Bielieskov, collaborateur scientifique à «l'Institut national des études stratégiques» ukrainien, dans un entretien avec «Politico».

«C'est la première fois depuis le début de la guerre que la Russie corrige ses plans en raison de l'action de l'Ukraine. Auparavant, l'initiative était exclusivement entre les mains de la Russie»
L'expert Mykola Bielieskov

L'expert est certain qu'une attaque de grande envergure sur Kherson aurait été une erreur. L'Ukraine n’aurait pas eu assez d'armes pour gagner. Toutefois, les plans d’attaque de Poutine auraient été «réduits à néant».

L'Ukraine ne pourra probablement pas célébrer la libération de Kherson avant l'automne et le président Volodymyr Zelensky devra peut-être assister à l'organisation de référendums présumés par la Russie. Mais sur le plan de la stratégie militaire, l'Ukraine a attiré l'armée russe dans un piège.

Les attaques russes subissent de lourdes pertes via le Dnipro, alors que le ravitaillement des troupes russes peut être attaqué à distance avec des armes occidentales modernes. Des partisans peuvent commettre des attentats et des actes de sabotage du côté de la région de Kherson occupé par la Russie. Cela rend la situation précaire pour Poutine et l'occupation de la région pèse sur le moral de ses soldats au combat.

Il ne s'agit donc pas vraiment d'une attaque ukrainienne de grande envergure, mais plutôt, selon l'analyste Bielieskov, d'un démantèlement «lent et méthodique» des forces armées russes. Dans le cadre des possibilités ukrainiennes, cela semble également être le seul scénario envisageable.

Sources:

Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz.

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Video: watson
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