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Guerre en Ukraine: un expert russe critique vertement son armée

Guerre en Ukraine: un expert russe critique vertement son armée
Dans cette interview, l'expert russe Ruslan Puchow dresse un sombre portrait du chef de guerre Vladimir Poutine.Image: Shutterstock

«Il est probable qu'ils nous battent»: un expert russe critique son armée

Ruslan Puchow fait partie des plus grands experts militaires russes. Dans une interview, il s'exprime de manière surprenante... et explicite.
20.08.2022, 07:58
Martin Küper / t-online
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On ne peut pas dire que Ruslan Puchow soit un critique du Kremlin. Conformément au langage officiel, il ne qualifie l'invasion de l'Ukraine que d'«opération militaire spéciale» que la Russie a de surcroît «lancée comme une sorte de duel chevaleresque». Le choix des mots de Puchow n'est sans doute pas uniquement dû à la crainte d'être condamné à 15 ans de camps d'internement pour ceux qui qualifient la guerre de guerre.

Cet homme de 49 ans est considéré comme un spécialiste de l'armée russe. Il a écrit plusieurs livres sur des thèmes d'histoire militaire et conseille depuis de nombreuses années le ministère russe de la Défense. L'analyse implacable de Puchow sur la campagne ukrainienne dans une interview avec la société de conseil russe Prisp en est d'autant plus étonnante.

Dans cette interview, Puchow dresse un sombre portrait du chef de guerre Vladimir Poutine. Il met également en garde contre une «aggravation dramatique de la situation» pour l'armée russe d'ici à la fin de l'été.

FILE - A Russian Army soldier looks through a sniper rifle scope as she and other soldiers guard a group of foreign journalists visiting a captured Ukrainian checkpoint and well-fortified trenches nea ...
Les troupes russes dans la région de Louhanskimage: keystone

Une armée en mauvais état

Puchow déplore tout d'abord l'état de l'armée de l'air russe qui ne dispose pas d'un seul avion de combat de dernière génération et «pas assez d'armes de précision et d'appareils de visée modernes». Ainsi, les bombardiers russes doivent soit voler si bas qu'ils se retrouvent à portée des combattants ennemis, soit voler si haut que leurs bombes deviennent inutiles. Selon Puchow, les chars russes ont également peu de chances face aux bazookas modernes comme le NLAW, le Javelin ou le Matador. Il fait remarquer:

«Même notre char le plus moderne, le T-90, est une modification du T-72 obsolète»
Ruslan Puchow, expert militaire russe

Puchow considère que l'Ukraine a un avantage en matière d'infanterie: «Nous manquons considérablement d'infanterie. Le front est grand et il n'y a pas assez de forces d'intervention pour les opérations militaires spéciales». Les Ukrainiens, en revanche, en seraient déjà à leur quatrième vague de mobilisation et ne manqueraient pas de personnel. «Dans le Donbass, la partie russe essaie de résoudre ce problème en utilisant l'artillerie. Mais comme vous pouvez le voir, cela va très lentement», explique Puchow.

Drones: «Nous avons raté cette révolution»

La lutte pour le Donbass qui fait rage depuis 2014 – Puchow parle à la manière du Kremlin de «l'opération antiterroriste» – a renforcé l'armée ukrainienne:

«Il ne faut pas oublier que les Ukrainiens entraînent activement leur armée depuis huit ans. Ils ont envoyé pratiquement toute leur infanterie à travers le Donbass et ont utilisé activement leur artillerie»

Les artilleurs russes n'auraient en revanche que peu d'expérience. «En cas de duel d'artillerie, il est plus probable qu'ils nous battent», ajoute Puchow.

Cela est également dû au fait que les Ukrainiens ont appris à diriger le tir de leurs canons à l'aide de drones disponibles dans le commerce: «Nous avons raté cette révolution et devons maintenant la rattraper», déclare Puchow avec autocritique.

FILE - A Russian soldier guards an area at the Alley of Glory exploits of the heroes - natives of the Kherson region, who took part in the liberation of the region from the Nazi invaders in Kherson, K ...
Un soldat russe près d'un drapeau soviétique dans la région de Kherson.image: keystone

L'Occident ne veut pas intervenir

L'expert voit un autre problème pour la Russie dans la portée relativement faible des pièces d'artillerie et des lance-roquettes soviétiques qui peuvent tirer au maximum à 25 kilomètres. Les pièces occidentales atteignent en revanche une portée de 41 kilomètres.

«Certes, les armes occidentales ne sont jusqu'à présent livrées aux forces armées de l'Ukraine qu'en quantités restreintes, mais les livraisons augmentent»

A l'avenir, les Ukrainiens pourraient, dans un duel d'artillerie, «détruire nos batteries et le contre-feu russe n'atteindrait tout simplement pas la cible».

Jusqu'à présent, l'Occident n'est toutefois pas prêt à fournir de grandes quantités d'armes lourdes à l'Ukraine, selon Puchow. Cela impliquerait de dénuder ses propres forces armées et d'envoyer un grand nombre d'instructeurs et d'autres personnels militaires en Ukraine: «L'Occident n'est pas encore prêt à un tel engagement et à une telle escalade, à l'exception de quelques russophobes isolés comme les Polonais», estime Puchow.

Comme la guerre de Corée?

Les Ukrainiens apprendraient rapidement à se servir d'armes occidentales comme les lance-roquettes américains de type Himars: «D'ici la fin de l'été, la situation sur les fronts pourrait s'aggraver de manière dramatique», explique Puchow. Il pense que le conflit en Ukraine pourrait se retrouver dans une impasse comme lors de la guerre de Corée en 1951:

«Notre armée s'arrêtera tout simplement et ne pourra plus avancer. Ce n'est pas comme si nous allions les attaquer avec des armes nucléaires»

Puchow ne s'attend toutefois pas non plus à une contre-offensive prochaine des Ukrainiens:

«Au fond, ils rencontrent les mêmes problèmes tactiques que nous lors de l'offensive. Les forces qui avancent sont généralement peu nombreuses. Elles sont soumises à des tirs d'artillerie et se replient rapidement ou ne sont pas en mesure de conserver les positions qu'elles viennent de prendre. Voyons si les Ukrainiens se révèlent meilleurs à cet égard.»

Puchow envisage même une victoire ukrainienne: «Les unités qui se battent sur le front sont assez bien équipées. Elles disposent d'un corps de réserve et les forces armées ukrainiennes peuvent lancer une contre-attaque si nécessaire.» Il conclut:

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