Six mois de guerre en Ukraine et l’agresseur reste la Russie. Préciser ce dernier point peut sembler superflu, tant la chose paraît claire. Elle ne l’est pas pour tout le monde. En général, ceux qui pensent aujourd’hui que l’Ukraine n’est pas aussi bleue-jaune que son drapeau dans ce conflit le pensaient déjà le 24 février, lorsque les chars russes ont franchi la frontière ukrainienne.
Cette guerre, que tout être humainement constitué souhaite voir se terminer au plus vite par un accord sauvant les apparences, demande de la constance. Elle n’oppose pas des méchants et des gentils, des bons et des mauvais, des qualités qui pourraient changer de camp en fonction de telle ou telle atrocité venant à la connaissance d’un public mu par des émotions.
Comme une terrible réminiscence de la guerre froide, mais on est cette fois-ci passé à un conflit bouillant, elle oppose deux systèmes, deux blocs, par la faute d’une Russie nostalgique de son empire qui a enclenché la spirale infernale, quand elle aurait pu s’abstenir de le faire.
La donne est simple: d’un côté, on trouve la Russie de Vladimir Poutine, armée d’une idéologie qui ne reconnaît que la force comme principe de gouvernance; de l’autre, on trouve l’Ukraine et derrière elle l’Occident, qui croit encore à l’Etat de droit et qui met son armement abondant au service de cette vision – sapée aux Etats-Unis par Donald Trump, en Europe par divers partis populistes rêvant d’en découdre avec le «gouvernement des juges», les «musulmans» ou encore la «dictature des minorités», tenus pour responsable de la «décadence de l’Occident».
On peut penser que l'Occident pousse parfois un peu loin le bouchon de la déconstruction sociétale des individus, le capitalisme s’y retrouvant grâce à de multiples marchés de niche, on ne doit pas en déduire, comme certains vouant une haine aux Etats-Unis, que Vladimir Poutine pourrait être le sauveur de l’Occident. Lui qui lui a déclaré la guerre en attaquant l’Ukraine, il en incarne le contraire. L’Occident est le lieu de la séparation des pouvoirs, le berceau de la démocratie, le havre de l'individu libre.
La Russie a annoncé son intention d’organiser à Marioupol un procès devant juger ceux qu’elle appelle les «nazis», des soldats ukrainiens du régiment Azov, longtemps retranchés dans l’usine Azovstal de la ville avant de se rendre aux Russes. Le Kremlin pense pouvoir faire là son Nuremberg du «nazisme ukrainien» – son argument d'entrée en guerre. On peut craindre que ce ne soit qu’une resucée des procès de Moscou sous la terreur stalinienne, avec des accusés comparaissant dans des boxes grillagés comme des cages pour animaux, en totale violation des conventions de Genève.
Dans cette guerre, seule la cause vaut enjeu. Et cela, l’habitude que nous avons prise du fact-checking, qui met à plat et comme à égalité les crimes des uns et des autres, a tendance à nous le faire oublier. Ce n’est pas que nous aimions les Ukrainiens plus que les Russes, ce n’est pas qu’il n’y ait pas de corruption en Ukraine ni de groupuscules douteux, c’est qu’il y a, dans cette horrible affaire, un agresseur et un agressé, un pays-empire d’une extrême brutalité, qui nie l’existence d’un peuple sous le drapeau qui est le sien. Au moins depuis cet autre 24 août: en 1991, à cette date-là, Kiev proclamait son indépendance vis-à-vis du bloc soviétique.