Ils portent des uniformes semblables à ceux des scouts: une casquette rouge, un polo rouge, un pantalon beige et des bottes à lacets. Pourtant, ils ne vont pas allumer des feux de camp dans la forêt. Ils participent à des marches militaires, entretiennent des monuments aux morts et reconstruisent des modèles de kalachnikov. Ils sont les membres de la «Iounarmia», l’armée russe des jeunes.
Ce n'est que la semaine dernière qu'une vidéo a fait sensation sur les réseaux. Un homme dirige un groupe de jeunes et d'enfants qui marchent dans la ville portuaire ukrainienne de Marioupol, sous contrôle russe depuis plus de deux mois. Ils chantent la chanson d'amour soviétique Katyusha. Selon les observateurs, les vidéos montrent des membres de la «Iounarmia».
L'armée des jeunes a été créée en octobre 2015 sous la direction du ministre russe de la Défense. L’ancien ministre, Sergueï Choïgou, avait alors déclaré:
Il a fait de grandes promesses, en assurant aux élèves qu'ils pourraient «piloter des avions, sauter en parachute, plonger, naviguer sur les navires de guerre et les sous-marins et tirer avec plein d'armes sauf des missiles».
Piloter? Sauter en parachute? De telles activités émerveillent de nombreux enfants mais derrière ces annonces magiques se cache surtout de la manipulation.
Le président russe Vladimir Poutine et ses partisans mettent tout en œuvre pour inculquer leur idéologie aux plus jeunes générations. L'experte militaire finlandaise Jonna Alava de l'Université d'Helsinki s'est penchée sur l'armée des jeunes Russes. Dans son livre The nexus of patriotism and militarism in Russia: the search for internal cohesion, elle a dédié un chapitre à la «Iounarmia», intitulé Russia’s young army: raising new generations to be militarized patriots.
Selon la «Iounarmia», l’adhésion est volontaire. L’experte Jonna Alava affirme toutefois qu’il n’est pas toujours possible d’y échapper. Les enfants de militaires, de fonctionnaires et d'employés de l'industrie de la défense sont officieusement obligés d'y adhérer. Tout comme les orphelins qui vivent dans des foyers gérés par l'Etat, écrit l'experte.
Certains membres sont attirés par des avantages particuliers. Plus de 20 universités russes attribuent désormais des points supplémentaires aux étudiants qui appartiennent ou ont appartenu à la «Iounarmia» lors de leurs examens d'entrée, explique Jonna Alava.
Sur son site Internet, la «Iounarmia» se vante de réunir aujourd'hui plus d'un million d'enfants et de jeunes âgé de 8 à 18 ans de toute la Russie. Chaque membre a accès à «des centaines d'événements passionnants et peut apprendre à utiliser la technologie et faire du sport».
Un centre régional occupe chacune des 85 régions de Russie. Les membres doivent apprendre les bases de la formation militaire initiale, développer des qualités de commandement et acquérir des compétences scientifiques et techniques dans des «maisons Iounarmia». Les questions relatives à l'avenir professionnel y sont également discutées.
«Le mouvement recrute des jeunes directement dans les écoles», explique l’experte Jonna Alava dans son livre. Les établissements scolaires sont tenus d’aménager une salle d’étude et de loisirs pour les adeptes de la «Iounarmia». La salle doit disposer d'un certain équipement, comme une photo de Vladimir Poutine, des représentations d'armes, des cartes et des drapeaux russes. Jonna Alava compare cela à l'ère soviétique, lorsque dans les années 1970 et 1980, chaque établissement d'enseignement devait disposer d’équipements similaires.
La publicité pour l’armée des jeunes est agressive. Des athlètes et acteurs connus apparaissent par exemple lors de manifestations du mouvement pour servir de modèles aux jeunes. Les représentations régionales vantent les effets soi-disant miraculeux d'une adhésion. Le centre régional du Kamtchatka indique par exemple que 98% des enfants présentent un meilleur comportement social. L'organisation encouragerait le patriotisme et la discipline.
Ailleurs, le gouvernement russe indique, selon Jonna Alava, que l'abus d'alcool et de drogues est enrayé, tout comme la criminalité des gangs. L'augmentation du taux de suicide chez les jeunes serait également combattue. En résumé, l’armée des jeunes semble être un remède universel.
Le «Patriot Park», également connu sous le nom de «Disneyland militaire» se situe près de Moscou. Il est à la fois un parc d’attractions pour les familles et un centre d’entraînement pour les soldats. Il a ouvert ses portes en 2016 et abrite depuis un musée d’histoire militaire et une exposition d’armes russes de haute technologie.
Outre des terrains de jeu, de sport et pour le paintball et le lasergame, le site abrite le plus grand stand de tir de Russie et une zone d'essai de la société Kalaschnikov pour présenter les dernières armes aux clients, peut-on lire dans un reportage du Badische Zeitung.
Sur les images, on voit des enfants grimper sur des chars et des jeunes tenir de grosses armes dans leurs mains. La «Iounarmia», quant à elle, surveille les monuments dans le parc. Les enfants et les jeunes doivent ainsi s’habituer aux armes et à la guerre. Dans ce lieu, l'armée des jeunes peut transmettre son idéologie fondamentale.
Valentina Melnikova, active dans le «Comité des mères de soldats» défend les recrues contre l'arbitraire dans l'armée. Elle y observe une «militarisation des enfants comme autrefois à l'époque soviétique», a-t-elle déclaré au journal allemand le Spiegel.
D'autres critiques font des comparaisons avec les Jeunesses hitlériennes, l'organisation de la jeunesse et de la relève du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). Elle a été baptisée du nom d'Adolf Hitler à partir de 1926 et s'est développée sous la dictature du national-socialisme en Allemagne à partir de 1933, pour devenir la seule association de jeunesse reconnue par l'Etat, comptant jusqu'à 8,7 millions de membres.
Petro Andriouchtchenko, conseiller du maire ukrainien de Marioupol, a utilisé le terme de «jeunesse poutlérienne», une fusion des noms de Poutine et Hitler. Il a vivement critiqué la vidéo des membres de «Iounarmia» dans la ville portuaire.
L'armée des jeunes est également présente sur les réseaux sociaux pour propager son idéologie. Sur Instagram, des vidéos montrent par exemple les membres former un «Z», le symbole de «l'opération militaire spéciale». L’organisation a dû arrêter ses activités sur le réseau social, en raison de l’interdiction de la plateforme en Russie.
En revanche, la «Iounarmia» continue de diffuser de la propagande sur VKontakte et Telegram. Sur des photos et des vidéos, on peut voir des visages souriants de jeunes adeptes. Ils sont manifestement utilisés à attirer de nouveaux membres.
Outre la «Iounarmia», Vladimir Poutine aimerait créer un autre mouvement de jeunesse patriotique. Cette organisation accueillerait les enfants à partir de six ans et serait financée par l'Etat. Sa mission consisterait officiellement à préparer les enfants et les adolescents à la vie dans la société russe.
Elle devra s’appuyer sur «une vision du monde basée sur les valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes». Elle devra également «enseigner aux enfants et aux jeunes l'amour et le respect de la patrie». La participation au mouvement – comme officiellement à la «Iounarmia» – doit être volontaire, indique-t-on du côté du gouvernement.
Ce nouveau mouvement rappelle également les organisations de jeunesse de l'Union soviétique. Le projet de loi a même été déposé au Parlement le 19 mai 2022, date à laquelle la fondation des pionniers soviétiques a vu le jour. Après la mort de Lénine en 1924, ils ont été renommés en pionniers de Lénine pour rappeler le nom du fondateur de l’Union soviétique.
Dans les années 1970, l'organisation regroupait plus de 25 millions d'enfants et de jeunes et contrôlait des milliers de camps de vacances. Un séjour dans les camps de pionniers d'Artek en Crimée ou d'Orlyonok sur la côte de la mer Noire était considéré comme une distinction particulière.
En tant qu'organisation d'Etat, les pionniers de Lénine ont été dissous après la fin de l'Union soviétique. Pendant une courte période, ils ont même été interdits. Plus tard, de nouvelles associations ont vu le jour, mais elles sont encore loin d'avoir atteint l'ampleur d'antan. Désormais, des mouvements comme «Iounarmia» cherchent à ancrer les anciennes traditions dans la jeunesse russe par de nouveaux moyens.
Sources utilisées:
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz.