Puissant, richissime, proche du président élu de la plus grande démocratie du monde, appelant sans hésitation à voter pour l’extrême droite en Europe: on n’avait encore jamais vu ça. Jamais un futur membre d’un gouvernement ami ne s’était comporté de la sorte. Même Steve Bannon, l’ancienne éminence grise de Donald Trump lors de son premier mandat présidentiel, ne s’était à ce point immiscé dans la affaires des Etats européens.
Elon Musk brise tous les tabous, rompt toutes les digues. Tel un ado jouant à la Play, le patron multimilliardaire canarde à l’envi la «vieille Europe», selon le mot du politologue Hans Stark, spécialiste, entre autres, de l’Allemagne, joint par watson.
Après avoir adoubé l’extrême droite allemande à l’approche des élections fédérales anticipées du 23 février – «seule l’AfD peut sauver l’Allemagne», écrivait-il sur X avant et après l’attentat perpétré le 20 décembre sur le marché de Noël de Magdebourg –, le Terminator Elon Musk a lancé un «blitz» contre le premier ministre britannique, le travailliste Keir Starmer.
Proférées, là encore, sur X, sa plateforme «perso», ses attaques verbales contre le chef du gouvernement du Royaume-Uni ressemblent aux propos d’un procureur requérant sous un régime dictatorial:
Elon Musk demande la démission du premier ministre britannique. Il lui reproche sa gestion d’un scandale d’exploitation sexuelle survenu il y a plus dix ans, alors qu’il dirigeait le service des poursuites judiciaires de la Couronne britannique. Dans les années 2000, des gangs pédophiles pakistanais avaient sévi dans des villes ouvrières du Royaume-Uni, ciblant plus de 1500 jeunes filles majoritairement blanches.
Par peur de faire le jeu de l’extrême droite, craignant d’être traités de racistes, les services de police n’avaient pas donné à cette affaire de grande ampleur la publicité qu’elle aurait dû avoir. Mais, à partir de 2010, le scandale avait éclaté, et les médias l’avaient alors relayé en grand. Keir Starmer se défend, aujourd'hui, des accusations d’Elon Musk à son encontre, affirmant qu’il avait au contraire œuvré, à l’époque, à la manifestation de la vérité.
Pourfendeur du politiquement correct, libéral à la mode libertarienne, le milliardaire américain plaide pour la libération de l’activiste d’extrême droite Tommy Robinson, condamné en octobre dernier à dix-huit mois de prison ferme pour avoir répété des propos diffamatoires envers un réfugié syrien qui avait gagné un procès contre lui. Elon Musk s’insurge contre la privation de liberté frappant le fondateur de l’English Defence League, un mouvement anti-islam, estimant que c’est Keir Starmer qui devrait être en prison.
Mais à quoi riment les tentatives d’OPA d’Elon Musk sur de grandes démocraties européennes? Jeudi, il conversera, sur X, avec la coprésidente de l’AfD, Alice Weidel, lui offrant une large audience. On comprend sans peine que, pour Elon Musk, la libre expression et la libre entreprise sont un même combat.
Pour le politologue Hans Stark, conseiller pour les relations franco-allemandes à l'Institut français des relations internationales (IFRI):
Le politologue voit dans la croisade d'Elon Musk contre le premier ministre britannique – le Royaume-Uni n’est plus membre de l’Union européenne –, «quelque chose d'émotionnel et d'identitaire». «L’Afrique du Sud, où il est né, fait partie du Commonwealth, dont le Royaume-Uni est la clé de voûte. Sans doute s’estime-t-il autorisé à intervenir dans les affaires britanniques avec autant de passion.»
L’économie n'en est pas moins prioritaire, constate Hans Stark.
Hans Stark note que l’implication d’Elon Musk dans la campagne électorale allemande ne profite pas pour l’heure à l’AfD. «Les intentions de vote pour l’AfD restent élevées, autour de 19%, derrière celles en faveur des conservateurs de la CDU, mais elles n’augmentent pas. Les partis gouvernementaux allemands feignent de ne pas prendre Elon Musk au sérieux.»
Tout l’est pourtant. Le patron de Tesla a investi des milliards dans la construction d’une giga-usine aux portes de Berlin. Il compte bien vendre ses services satellitaires à l’Allemagne, moins chers que ceux fournis par le consortium européen Ariane 6. Hans Stark met en garde:
A Mayotte, face à la dévastation de l’archipel de l’océan Indien, Elon Musk a fait parler la «diplomatie des satellites» en mettant son réseau de communication à la disposition de ce département français d’outre-mer. Cela n’a pas empêché Emmanuel Macron de dénoncer l’ingérence du milliardaire dans la politique des Etats européens.
Lundi, face aux ambassadeurs français réunis à Paris, il a lancé:
Mouché, Elon Musk a répliqué mardi sur X, renversant l’accusation:
Oh like that time Starmer called @realDonaldTrump a racist and said the British government should do everything to stop him?
— Elon Musk (@elonmusk) January 6, 2025
Or when Starmer sent British Labour Party members to campaign in the US against President Trump this year?https://t.co/5R28WgZIj0 https://t.co/S3cjV27Woi
L’esprit de «Notre-Dame», Emmanuel Macron ayant déroulé le tapis rouge à Donald Trump et Elon Musk lors de la réouverture de la cathédrale, le 7 décembre à Paris, s’est-il déjà enfui?
L'«imprévisible et tout-puissant» Elon Musk, comme le qualifie Hans Stark, met à l’épreuve les démocraties européennes, lesquelles, dit-il, «ont du mal à maintenir des pare-feu face aux partis populistes». Notre Terminator a-t-il des limites?