D'où viennent les soldats russes qui combattent en Ukraine, parfois pillent, commettent des crimes de guerre jusqu'à finalement tomber par milliers?
Une carte le montre:
Cette carte interactive est l'œuvre d'un Estonien. Il a créé à l'aide de Google Maps et des données de passeports de soldats russes fortement soupçonnés d'avoir participé à des crimes de guerre à Boutcha. Ces informations ont été publiées en début de semaine par les services secrets ukrainiens. Les épingles indiquent le lieu où un passeport a été délivré. La liste publiée contient 1674 noms d'officiers et de soldats russes. Et le schéma qui en résulte est édifiant.
Les soldats qui combattent en Ukraine proviennent en grande majorité de zones rurales, parfois très éloignées, du sud de la Russie et le long du Transsibérien jusqu'en Extrême-Orient. Beaucoup d'entre eux viennent de régions pauvres du pays, parfois à des milliers de kilomètres de l'Ukraine.
À l'inverse, cela signifie que pratiquement aucun jeune Russe du centre de Saint-Pétersbourg ou de Moscou ne perd la vie en Ukraine. Dans les grandes villes de l'ouest de la Russie, il n'y a probablement aucun habitant ayant eu des victimes dans sa famille ou dans son entourage, du moins jusqu'à présent. C'est ce qui fait toute la stratégie de Poutine, qui n'a à craindre ni critiques ni soulèvements, même si, selon les estimations occidentales, au moins 7 000 à 15 000 Russes sont tombés .
Gem. meinem russischen Bekanntenkreis in Sankt Petersburg kennt niemand jemanden, der jemanden kennt, der wen kennt der im Krieg ist. „Die schicken nur Jungs vom Dorf und Zentralasien“. So kann man auch Aufstände verhindern. #Ukraine
— Thomas Bollinger 🇨🇭💉💉💉 (@bolli3097) April 6, 2022
Selon les services secrets ukrainiens, les unités russes présentes au nord de Kiev étaient entre autres des soldats de la 64e brigade de tirailleurs motorisés d'Extrême-Orient, qui aurait désormais été transférée dans le Donbass. Cette unité de Khabarovsk, à la frontière avec la Chine, aurait notamment occupé Boutcha jusqu'au 31 mars.
Si le porte-parole du Kremlin a admis, pour la première fois, des «pertes importantes» après six semaines de guerre et parlé d'une «immense tragédie», il l'a fait en sachant que les citoyens de Moscou ne se révolteront pas pour des soldats de minorités ethniques tombés au combat.
Il apparaît de plus en plus clair que dans cette invasion contre l'Ukraine, ce sont principalement les membres des minorités nationales qui perdent la vie, ceux-ci étant considérés par une partie de la population comme des Russes de seconde classe. Souvent, en raison de leur apparence asiatique. Des vidéos de soldats capturés postées par les forces armées ukrainiennes plus tôt ont fourni une indication qui allait dans ce sens. Selon la NZZ, il y avait, entre autres, des soldats bouriates, c'est-à-dire des bouddhistes de langue mongole du sud-est de la Sibérie. Les Bouriates représentent 0,3 % de la population totale.
La carte des origines renforce l'impression selon laquelle Poutine enverrait en premier lieu les couches sociales les plus reculées en Ukraine. Un schéma que l'on observe régulièrement dans les guerres.
Comme le révèle la carte, de nombreux soldats viennent du Caucase du Nord, ou des républiques autonomes du sud de la Russie, entre la mer Noire et la mer Caspienne.
Le service russophone de la BBC conclut également que de nombreux tués sont originaires de la république autonome de Bouriatie et du Caucase du Nord musulman. Cela n'a rien d'étonnant: l'armée attire surtout les personnes pauvres.
Le journaliste Kamil Galeïev écrivait déjà le 23 mars sur Twitter: «A en juger par les listes de victimes, les minorités sont largement surreprésentées sur les champs de bataille en tant que chair à canon».
We don't have aggregated data for the entire Russian army. But we can get some idea of who fights in Ukraine from this list of wounded Russian soldiers lying in Rostov hospital. More than half are clearly Dagestani. Magomed (Muhammad) - the most common name in the list of wounded pic.twitter.com/bMIl58WT0w
— Kamil Galeev (@kamilkazani) March 23, 2022
Il est difficile de prouver que l'armée envoie délibérément des minorités à la guerre. Ce qui est sûr en revanche, c'est que les Russes issus des classes supérieures et moyennes ayant une bonne formation ont relativement de facilité à échapper à l'ordre de marche. Au total, seule une personne sur cinq effectue encore son service militaire en Russie.
La 64e brigade de tir motorisée de Khabarovsk, tout à l'est de la Russie, est notamment clouée au pilori en Ukraine. Depuis le début de la semaine, des photos de jeunes soldats de Khabarovsk de type asiatique sont diffusées sur les réseaux sociaux. Il n'a pas été établi si ces derniers ont effectivement participé à des crimes de guerre. Des unités spéciales des services secrets FSB et la troupe de mercenaires «Wagner Gruppe» sont également soupçonnées.
Olena, une habitante de Boutcha, rapporte la ZDF, que ce sont surtout de jeunes soldats russes qui sont arrivés en premier. Ce n'est qu'ensuite que sont apparus des soldats plus âgés, mieux équipés et plus brutaux, qui seraient responsables des crimes de guerre. Il s'agirait d'une unité spéciale des services secrets FSB. Les jeunes soldats auraient même averti les citoyens «qu'il s'agissait d'unités spéciales très violentes». Les habitants rapportent en outre que les soldats recherchaient de manière ciblée les citoyens qui avaient auparavant téléchargé des vidéos de la guerre sur Youtube.
Olena a passé le mois de mars avec ses enfants de sept et neuf ans dans la cave d'un immeuble de quatre étages. Sans électricité. Avec d'autres habitantes et habitants. Elle est allée voir ces soldats FSB pour leur demander ce qu'elle devait donner à manger à ses enfants, «et ils nous ont apporté des rations alimentaires et de la nourriture», raconte-t-elle.
Selon les informations du Spiegel, le service de renseignement allemand (BND) a enregistré les communications radio de coupables présumés. Des soldats russes auraient discuté par radio des meurtres de civils à Boutcha. Selon le BND, la troupe de mercenaires «Wagner Gruppe» aurait participé à ces atrocités. Les enregistrements du BND laissent penser qu'il ne s'agit ni d'actes fortuits ni d'actions de soldats isolés ayant perdu le contrôle. Les auteurs se sont entretenus des atrocités comme de leur quotidien. Les crimes de guerre, semble-t-il, font partie de la stratégie visant à intimider la population.
Les informations concernant Boutcha et d'autres villes et villages sont en partie contradictoires. Des rumeurs de massacres ont circulé sur les réseaux sociaux dès le 27 février, trois jours après le début de l'invasion. Ce qui s'est passé exactement, et à quel moment, fait désormais l'objet d'une enquête actuellement en cours.