Mardi, une centaine de soldats arméniens et azerbaïdjanais ont été tués dans les combats les plus violents depuis la guerre entre les deux pays en 2020.
Trois villes arméniennes, Sotk, Djermouk et Goris, sont notamment visées. Un accrochage militaire d'envergure qui arrive en plein milieu de la guerre en Ukraine, et Poutine y tient un rôle important. Comment? Décryptage.
Le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne date pas d'hier. Il dure, en théorie, depuis plus de 100 ans. Si la paix n'a pas été signée, un cessez-le-feu a été conclu en 1994, mais la situation n'a cessé de se dégrader depuis 2014. Des incidents violents se produisent régulièrement à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Avec de nombreux morts.
Notons les différences entre les deux pays. Tout d'abord, sur le plan religieux: l'Azerbaïdjan est islamique, l'Arménie est principalement peuplée de chrétiens orthodoxes. Les deux voisins vivent depuis longtemps à couteaux tirés.
La dispute pour le Haut-Karabagh date de plus d'un siècle. Si les influences dans la région n'ont cessé d'évoluer au fil des siècles et les rapports de domination ont changé au fur et à mesures des régimes, l'année 1918 marque un tournant: avec l'indépendance de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la Géorgie, les trois Etats veulent y prendre le pouvoir.
Avec le soutien de l'Empire ottoman — islamique — et le blanc-seing de la Couronne britannique, active dans la région à cette époque, le Haut-Karabagh passe à l'Azerbaïdjan. La population de la région, pourtant, reste majoritairement arménienne. Aujourd'hui encore, ces derniers aspirent à l'indépendance de l'Azerbaïdjan.
Dans les années 1920, les deux pays passent sous contrôle soviétique et le conflit est tenu sous contrôle, même si ses braises restent chaudes.
L'emprise soviétique empêche les violences d'éclater, à l'image de l'ex-Yougoslavie. Cette situation dure jusqu'en 1988, en pleine période de réformes — la perestroïka de Gorbatchev — au sein de l'URSS.
Cette année-là, le feu du conflit reprend d'un coup. Plusieurs dizaines de personnes perdent la vie lors de violences commises contre les populations arméniennes de la ville azerbaïdjanaise de Soumgaït. En 1989, le Haut-Karabagh, toujours en Azerbaïdjan et toujours peuplée majoritairement d'Arménien, veut s'unir à l'Arménie.
L'Azerbaïdjan refuse même de considérer cette option et montre des crocs. En conséquence, de nombreuses exactions sont commises contre la population arménienne.
En 1990, la Russie intervient. Mais au lieu d'apaiser la situation, cette intervention conduit à une guerre ouverte entre les deux pays.
En collaboration avec des unités paramilitaires du Haut-Karabakh et des troupes russes, l'Arménie s'empare de la province disputée et de certaines parties de l'Azerbaïdjan. Les personnes vivant dans la région, c'est-à-dire les Kurdes et les Azerbaïdjanais, sont expulsées. Un cessez-le-feu est négocié en 1994.
Selon différentes estimations, entre 30 000 et 50 000 personnes sont tuées. De plus, environ 800 000 Azerbaïdjanais ainsi que 300 000 Arméniens sont déplacés ou deviennent réfugiés.
Depuis cette guerre, la région du Haut-Karabagh reste un foyer de tensions. En 2020, l'Azerbaïdjan reprend ses territoires perdus et s'empare, en outre, d'endroits stratégiques du Haut-Karabagh. Depuis cette date, la tension n'a pourtant pas baissé dans la région:
Du côté Arménien comme Azerbaïdjanais, les communications sont coupées. Diplomatique, rien ne passe si ce ne sont des rapports d'accrochages militaires:
Dans la récente vague d'attaques, ce n'est pas le Haut-Karabagh qui est visé, mais des villes situées sur le territoire arménien: Sotk, Djermouk et Goris.
Les deux Etats se rejettent mutuellement la responsabilité de la montée en puissance du conflit. Le ministère arménien de la Défense a fait savoir que les troupes azerbaïdjanaises avaient attaqué des positions arméniennes à trois endroits avec de l'artillerie et des armes de gros calibre.
Dans la capitale azerbaïdjanaise Bakou, le ministère de la Défense a évoqué une tentative de sabotage arménienne à grande échelle comme responsable des combats:
Historiquement, la Russie a toujours soutenu l'Arménie, tous deux notamment chrétiens orthodoxes. Elle a joué un rôle diplomatique dans le conflit, aux côtés des Etats-Unis et de la France. Des forces de maintien de la paix russes se trouvent dans le Haut-Karabagh afin de maintenir la stabilité.
Cela n'a toutefois pas empêché Vladimir Poutine de fournir également des armes à l'Azerbaïdjan. Le Centre d'Etat pour l'éducation politique, un organisme d'analyse allemand spécialisé en géopolitique, résume le problème ainsi:
Ainsi, la poursuite du conflit du Haut-Karabagh pourrait avoir été plus avantageuse du point de vue russe qu'un accord de règlement et de pacification.
Selon des informations en provenance de la capitale arménienne Erevan, l'Arménie a officiellement appelé à l'aide l'alliance militaire de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dirigée par la Russie.
Pour la Russie, le concept de «puissance protectrice» telle qu'avancée auprès de l'Arménie est d'importance a été inscrit sous forme d'obligation dans le mémorandum de Budapest, signé en 1994.
Mais la guerre en Ukraine a tiré des forces russes hors du Haut-Karabagh pour aller se battre contre Kiev. L'Azerbaïdjan profite désormais de cette situation, même si ce n'est pas la seule raison de ces attaques.
Car Bakou profite aussi du fait que Poutine a en ce moment besoin du meilleur l'allié de l'Azerbaïdjan: la Turquie. En effet, la Russie a besoin de cette dernière pour rompre son isolement diplomatique et économique vis-à-vis de l'Occident.
Avec l'aide de l'Azerbaïdjan, la Turquie poursuit ses propres intérêts dans la région du Caucase et accuse l'Arménie de «provocations». Poutine va-t-il lâcher le Caucase et l'Arménie pour éviter de se mettre la Turquie à dos et mettre toutes ses chances du côté de l'Ukraine?
En juillet dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a rencontré le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à Bakou. La rencontre avait pour thème le gaz.
Concrètement, il s'agit de faire en sorte que l'Azerbaïdjan double ses livraisons de gaz à l'UE d'ici 2027. Une solution qui permet notamment de rendre l'Allemagne moins dépendante du gaz russe. Von der Leyen et Aliyev ont signé ensemble une déclaration d'intention en ce sens.
Sur Twitter, von der Leyen a déclaré que l'Azerbaïdjan était un partenaire de confiance.
The EU is turning to trustworthy energy suppliers.
— Ursula von der Leyen (@vonderleyen) July 18, 2022
Azerbaijan is one of them.
With today's agreement, we commit to expanding the Southern Gas Corridor, to double gas supplies from Azerbaijan to the EU.
This is good news for our supplies of gas this winter and beyond. pic.twitter.com/j1sVcv10z6
A l'avenir, l'Azerbaïdjan devrait aussi devenir un partenaire énergétique des énergies renouvelables, grâce à l'énergie éolienne offshore et l'hydrogène vert. L'UE remplace-t-elle sa dépendance au gaz russe par celle d'un autre régime autocratique?
Car l'Azerbaïdjan viole régulièrement les droits de l'homme et l'UE en a bien conscience. La liberté de la presse est également fortement limitée dans ce pays du Caucase. Dans le classement international de la liberté de la presse, l'Azerbaïdjan occupe la 154e place sur un total de 180.