La personne qui a prononcé cette phrase agit sur TikTok et aurait publié sa première vidéo sur un compte supprimé depuis. Armé du verbe pontifiant d’un lanceur d’alerte, ce jeune homme prétend s’exprimer au nom d’une usine chinoise fabricant dans le plus grand secret une bonne partie des sacs à main labellisés «made in France, Italy ou autres». Surtout, à des coûts qui n’ont rien à voir avec les prix affichés en magasin,
But de la manœuvre: prouver que les Occidentaux se font arnaquer, louer le boulot des «honnêtes artisans chinois», et moquer les tarifs douaniers brandis par Donald Trump. Oui, tout ça dans la même vidéo.
Cette charge s’est répandue comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux, suscitant des dizaines de millions de vues en quelques heures, grâce notamment à la duplication de comptes créés dans la foulée de la première vidéo. Une bonne raison à cela: le message est simpliste, polémique, soi-disant explosif, soi-disant filmé dans une usine chinoise et dirigé contre un grand méchant qui a l’habitude d’être pris pour cible: le luxe.
Bien que certaines usines citées dans ces nombreuses vidéos existent bel et bien, notre interlocuteur au bout du fil est persuadé que nous avons affaire ici à «du fake». Reste à savoir dans quel but cette attaque ciblée a été déployée et «à qui profite le crime»: «Pour quelle raison ces manufactures chinoises prendraient-elles le risque de se saboter à grande échelle auprès des marques de luxe, en dévoilant de supposés procédés de fabrication dans lesquels elles seraient elles-mêmes impliquées et, de ce fait, supposément perdre leurs propres clients? Ça n’a pas beaucoup de sens».
L’homme à l’origine de la première vidéo, qui s’exprimait sous le nom «sen.bags» puis «sen.bags2», est difficile à démasquer aujourd’hui sur TikTok, tant les comptes s’y rapportant ont été supprimés et dupliqués depuis les dernières 24 heures. Malgré tout, un utilisateur semble sortir du lot: «Wang Sen».
Sur ce compte, on retrouve notre homme dans de nouvelles séquences où il soutient qu’il dérange le «grand capital», mais qu’il a des «soutiens éveillés de par le monde». C’est à la fois vague et carrément paranoïaque, mais un lien externe proposé dans la bio nous en livre un peu plus, car il renvoie à un site web de fabrication et de vente de sacs à main, enregistré chez un hébergeur américain.
Le site est très récent et mal calibré. Encore une fois, on imagine mal Hermès traiter avec une telle manufacture chinoise qui étrille son savoir-faire dans des vidéos TikTok pour vendre des Birkin sortis d’usine.
Notre spécialiste précise également que l’homme en question et les influenceurs qui reprennent ses dires «mélangent, eux aussi, les marques qui n’ont rien à faire ensemble, car on ne peut pas mettre sur un pied d’égalité, par exemple, Michael Kors et Hermès, qui n’ont pas du tout les mêmes méthodes de production».
Cet étrange fabricant de sacs raconte donc littéralement n’importe quoi et beaucoup d’internautes tombent dans le panneau. Et c’est peut-être aussi parce que les marques font parfois fabriquer de petites pièces ou des produits dérivés en Asie. Prenons l’exemple de la société Le Creuset, reconnue mondialement pour ses cocottes en fonte émaillée. Si ces dernières sont fabriquées exclusivement dans l’usine de Fresnoy-le-Grand, les poivriers, eux, sont conçus en Chine. Ce qui n’a pas manqué de faire hurler certains commentateurs, dans cette bruyante polémique sur le «Made in China».
«C’est un faux débat, nous balance notre interlocuteur. Ces vidéos et les commentaires qui les accompagnent semblent n’avoir aucune idée du savoir-faire et des standards de qualité très élevés des grandes maisons. En même temps, il ne faut pas minimiser l’innovation et les compétences parfois uniques au monde des ouvriers chinois».
Car, au final, ce qui fait véritablement hurler les vidéastes et les internautes, ce sont les prix de vente des produits de luxe une fois en boutique et, par extension, les marges avalées par les marques qui les fabriquent: «Evidemment que les prix et les marges des produits de luxe sont exorbitants. Mais les gens ne savent plus faire la différence entre un produit de bonne et de mauvaise qualité et sont prêts à payer le prix fort pour un simple marqueur social».
C’est là que la contrefaçon entre en jeu. L’individu qui a mis le feu aux poudres en profite donc pour prétendre qu’un sac Birkin coûtera vingt fois moins cher en sortie d’usine chinoise et incite les clients potentiels à toquer directement à sa porte. «C’est non seulement absurde, mais aussi faux et impossible. D’autant que jamais une grande maison n’autoriserait une usine chinoise à vendre ses produits en direct», nous précise enfin notre expert.
En conclusion, les gesticulations de Donald Trump n’ont pas fini de faire réagir le reste du monde, et plus encore en Chine, où le président américain rencontre la plus forte résistance.