Les vrais amis se serrent les coudes même dans les moments difficiles, dit-on. Mais Pékin exploite froidement la situation actuelle de Moscou: sur une nouvelle carte géographique, la Chine revendique plus de cent kilomètres carré de territoire russe. L'île de Bolchoï Oussouriisk, située à la pointe nord-est du pays, est présentée comme chinoise sur un nouveau document officiel.
Le ministère chinois des ressources naturelles a publié cette nouvelle version de la carte nationale de la Chine fin août. Il s'agit d'un document très officiel, utilisé par les universités et les écoles, ainsi que par les médias du pays. Mais surtout, la carte expose ouvertement les revendications d'expansion territoriale de la Chine.
Certaines d'entre elles ne sont pas nouvelles: il fallait s'attendre à ce que l'île de Taïwan, gouvernée démocratiquement, soit déclarée chinoise. Les revendications illégales de Pékin sur une grande partie de la mer de Chine méridionale ne sont pas non plus surprenantes.
Mais cette fois, les autorités sont allées encore plus loin: sur la nouvelle carte, le ministère a également déplacé de manière significative les 3500 kilomètres de frontière avec l'Inde. L'Etat de l'Arunachal Pradesh a été rebaptisé «Tibet du sud» (Zangnan en mandarin), et la région montagneuse de l'Aksai Chin, à l'ouest du Tibet, figure désormais rattachée à la Chine. Furieux, le représentant du ministère indien des Affaires étrangères a déclaré:
Les revendications chinoises pourraient conduire à une nouvelle escalade du conflit frontalier entre les deux puissances nucléaires: en 2020 déjà, des combats ont opposé des soldats indiens et chinois dans l'Himalaya, faisant au moins deux douzaines de morts.
Le conflit frontalier russo-chinois, il y a plusieurs décennies, aurait pu connaître une issue bien pire. En Occident, «l'incident de l'Oussouri» de 1969 est peu connu. Pourtant, la Chine et l'Union soviétique sont passées à un cheveu d'un conflit nucléaire.
L'île disputée du fleuve Amour est un territoire chinois conquis par les troupes de Moscou en 1929, au cours de la guerre sino-soviétique. En 2004, la Russie s'est engagée à restituer la moitié occidentale à la Chine. Pékin, en contrepartie, a alors renoncé à ses droits de propriété sur la partie orientale de l'île.
Mais aujourd'hui, la direction du Parti semble décidée à reconquérir son bien. Et le pari porte ses fruits: le Kremlin a jusqu'à présent accepté en silence le coup bas de Pékin.
Car depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie se retrouve dans une situation de profonde dépendance vis-à-vis de Pékin. Sur le plan économique, les entreprises chinoises comblent le vide laissé par l'exode occidental: des voitures chinoises circulent dans les rues de Moscou et les produits électroniques sont de plus en plus made in China.
Parallèlement, la République populaire reçoit des quantités record de pétrole russe à prix réduit. Pas de doute: le dirigeant chinois Xi Jinping se fait grassement payer pour son «amitié sans failles» avec Moscou, proclamée à l'extérieur.
En contrepartie, l'Empire du Milieu offre une forme d'assurance-vie: Xi Jinping a certes tout intérêt à assurer un lien amical et loyal avec son voisin du nord. Mais le président chinois veillera également à ce que le système Poutine reste stable. Un effondrement du gouvernement en place serait un terrible scénario pour la Chine, qui partage avec la Russie une frontière de plus de 4000 kilomètres.
Mais en écoutant les milieux russes proches de l'Etat à Pékin, on entend depuis longtemps poindre le mécontentement. Une source affirme qu'il ne peut y avoir de véritable amitié avec la Chine. Le pays ne percevrait que ses propres intérêts de puissance. Les revendications territoriales sur la nouvelle carte ne seraient en aucun cas une erreur accidentelle, mais plutôt un calcul politique. Or, dans la situation actuelle, Vladimir Poutine n'a d'autre choix que de faire avec.
La politique de pouvoir audacieuse de Pékin est également vue d'un mauvais oeil dans les pays voisins, qui perçoivent la Chine comme une menace.
Interprété de l'allemand par Tanja Maeder