Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Chine est officiellement neutre. Elle s'est abstenue de voter à l'Assemblée générale de l'Organisation des nations unies (ONU) même si officieusement, Pékin est du côté de Moscou. Preuve en est la propagande d'Etat qui diffuse le récit russe qui rend l'Occident et l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) responsables de la guerre.
La Chine achète activement du pétrole et du gaz russes et aide ainsi Vladimir Poutine à financer sa guerre. Les observateurs soupçonnent également de plus en plus la Russie d'être aidée par son grand allié pour contourner les sanctions occidentales. Le gouvernement américain part même du principe que la Chine a promis de livrer des armes à la Russie.
C'est ce qu'a rapporté le Washington post sur la base d'une évaluation de documents secrets publiés sur la plateforme de jeux Discord. L'aide militaire devait être déguisée en biens civils, car un soutien ouvert à l'agresseur ferait de la Chine un belligérant, ce que Pékin souhaite éviter pour diverses raisons.
On ne sait pas si les livraisons d'armes auront effectivement lieu. Une analyse publiée mercredi par Foreign affairs considère une telle démarche comme une possibilité sérieuse, mais mentionne également les risques. Au vu des graves déficits de l'armée russe, l'aide militaire de Pékin pourrait tout au plus prolonger la guerre, mais pas la décider.
Ce qui est sûr, c'est que le chef d'Etat Xi Jinping assume son amitié avec Poutine malgré sa prétendue neutralité. Il a jusqu'à présent fait preuve de froideur à l'égard du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le dernier échange connu datait du 4 janvier 2022, à l'occasion du 30e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques.
Depuis, Xi s'est entretenu plusieurs fois au téléphone avec Poutine et l'a rencontré trois fois en personne. Mais il n'y a jamais eu d'entretien avec Zelensky. Jusqu'à ce mercredi 26 avril. Une «longue conversation assez raisonnable» avec le chef d'Etat chinois a eu lieu, a déclaré le chef d'Etat ukrainien.
L'entretien téléphonique est «une bonne chose», a déclaré John Kirby, le porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères. Si les réactions de Moscou ont été nettement plus réservées, en Occident, la réponse est positive.
L'espoir que la Chine puisse contribuer à la fin des combats est lié à cette discussion. Récemment, Pékin a réussi à négocier une réconciliation entre les ennemis jurés que sont l'Iran et l'Arabie saoudite. Li Hui a maintenant été nommé envoyé spécial. Il a été ambassadeur à Moscou et est considéré comme un poids lourd de la diplomatie selon le New York times.
Certains analystes doutent toutefois de la volonté de la Chine de mettre fin à la guerre. Ainsi, les termes «Russie» et «guerre» sont absents du communiqué officiel de l'entretien entre Xi et Zelensky. La Chine parle plutôt de «crise ukrainienne», à laquelle une solution politique doit être trouvée. Et une fois de plus, la Chine a mis en garde contre une escalade nucléaire.
En février déjà, Pékin avait publié un «plan de paix» en douze points, sans s'efforcer ensuite de le mettre en œuvre. Les critiques soupçonnent surtout un motif derrière la soudaine disposition de Xi Jinping à discuter: les déclarations controversées de Lu Shaye, l'ambassadeur chinois en France, lors d'une interview télévisée.
Le diplomate, peu diplomatique, avait alors remis en question la souveraineté des Etats issus de l'Union soviétique. Les déclarations de Lu ont suscité l'indignation en Europe et notamment dans les trois Etats baltes, ce qui a poussé le ministère des Affaires étrangères de Pékin à souligner que le statut des anciennes républiques soviétiques était respecté. Cela vaut également pour l'Ukraine.
L'entretien téléphonique de Xi Jinping avec Volodymyr Zelensky était une nouvelle tentative de limiter les dégâts. Car la Chine s'efforce ces derniers temps d'entretenir de bonnes relations avec les Européens pour des raisons économiques entre autres. Mais Pékin espère également pouvoir s'immiscer dans les rapports entre l'Europe et les Etats-Unis, notamment dans le conflit autour de Taïwan.
Un rôle de médiateur dans la guerre d'Ukraine serait alors le bienvenu. Parallèlement, Xi aspire à un ordre mondial «multipolaire», avec la Chine et la Russie comme contrepoids à l'Occident et surtout aux Etats-Unis. Pékin n'a donc aucun intérêt à ce que la Russie sorte affaiblie ou même vaincue de la guerre, spécule-t-on.
Les Chinois ne se font pas d'illusions sur leurs chances de succès. «Personne ne pense que la Russie et l'Ukraine sont actuellement prêtes à discuter», a déclaré Yun Sun, directrice du programme chinois au Stimson Center de Washington, à CNN. La Chine espère toutefois étendre son influence diplomatique et créer de la bonne volonté en Europe.
Les intérêts économiques pourraient également jouer un rôle. Avant la guerre, la Chine était le principal partenaire commercial de l'Ukraine et le plus gros acheteur de maïs. Pékin se taille la part du lion dans les exportations rendues possibles par l'accord sur les céréales. A Kiev, on espère que les Chinois participeront à la reconstruction à grande échelle.
C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement ukrainien s'est abstenu de critiquer la Chine, malgré son parti pris pour la Russie. La balance pourrait désormais s'équilibrer quelque peu, mais il serait présomptueux d'espérer une fin rapide de la guerre. Les Ukrainiens ne laisseront pas la Chine les empêcher de mener leur contre-offensive.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)