S'agit-il d'un exercice de style ou d'un coup de pied dans la fourmilière? Jeudi, le monde entier avait les yeux rivés sur l'Ouzbékistan, un pays d'Asie centrale, car les autocrates de l'Est s'y sont rencontrés: Vladimir Poutine, Xi Jinping pour ne citer que deux d'entre eux.
Les chefs d'Etat du Kazakhstan, du Tadjikistan ou du Kirghizstan se trouvent également au sommet de deux jours de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). La plupart des participants dirigent leurs Etats de manière antidémocratique. Une réunion de pouvoir qui sert à consolider la vision autocratique de l'ordre mondial.
Que signifie une telle conférence sur le plan politique? Pourquoi pourrait-elle être dangereuse et que s'est-il passé le premier jour?
L'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) a été fondée en 2001 et a son siège en Chine. L'origine de sa création est liée à la sécurité: il s'agissait de lutter contre le terrorisme, l'extrémisme et le séparatisme en Asie centrale. La Chine s'intéressait tout particulièrement à la région occidentale du Xinjiang. C'est là que vit la minorité ouïghour, persécutée par le régime.
Depuis 2017, le domaine d'action s'est toutefois élargi: des manœuvres militaires communes, comme récemment sur le territoire russe, en font partie. Les pays veulent également coopérer plus étroitement sur le plan économique et culturel.
On veut défier l'Occident. Mettre en place des structures parallèles. Démontrer sa force. Ni les Européens de l'Ouest ni les Américains n'ont le droit de jouer. En revanche, des dictatures comme la Biélorussie ou l'Iran peuvent s'asseoir à la table. Elles ont un rôle d'observateur dans cette organisation, mais n'en sont pas membres.
Certains craignent que l'OCS ne devienne une «contre-ONU», mais on en est encore loin. Pour rappel, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan) est une alliance de défense occidentale avec un pacte signé par tous les pays membres. Ces derniers sont notamment tenus de s'entraider en cas de guerre. L'OCS n'est pas une alliance militaire et ne dispose pas d'un tel pacte d'assistance.
C'était la première fois depuis début février que le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping se rencontraient en personne. La rencontre était sous surveillance, car la position de Pékin vis-à-vis de Moscou était encore relativement floue.
On a prédit à Xi un numéro d'équilibriste pour cette réunion. Dans son analyse pour le groupe de réflexion Carnegie endowment for international peace, l'expert asiatique Evan A. Feigenbaum qualifie la situation de triple dilemme.
Néanmoins, Poutine a pu affirmer jeudi un partenariat étroit. Le chef de l'Etat russe a remercié la Chine pour sa position dans le conflit ukrainien. En marge de la rencontre, il a déclaré que la Russie appréciait la «position équilibrée» de la Chine, surtout dans le contexte de la guerre d'agression russe en Ukraine.
Pour sa part, Xi a déclaré que la Chine souhaitait contribuer à la stabilité mondiale. Son pays est prêt:
En raison des nombreuses sanctions occidentales, Poutine s'efforce de tisser sa toile en direction de l'Asie. La Chine, en particulier, serait l'un des principaux partenaires commerciaux du maître du Kremlin. En d'autres termes, les deux pays vivent plutôt un mariage de convenance. Dans ce contexte, Pékin n'a à aucun moment condamné l'invasion russe de l'Ukraine. Au lieu de cela, Xi s'est insurgé contre les mesures punitives prises par l'Occident à l'encontre de Moscou ou encore contre les livraisons d'armes à Kiev.
Pékin a, toutefois, d'autres intérêts bien plus importants. La Chine – et Poutine devrait également le savoir – est une puissance autrement plus importante que la Russie. Certes, elle veut continuer à pactiser stratégiquement avec Moscou – ceci pour la simple raison qu'elle veut créer et maintenir un contrepoids à la puissance américaine et à la pression économique croissante de l'Occident –, mais en même temps, on ne veut pas, du côté de Pékin, tenir l'Occident complètement à l'écart.
Contre les Etats-Unis, Xi Jinping mise sur le partenariat avec Poutine. Les deux chefs d'Etat l'ont encore confirmé jeudi. Poutine s'est également rangé derrière la Chine dans le conflit autour de Taïwan et a condamné les «provocations» des Etats-Unis et de leurs alliés.
L'expert asiatique Feigenbaum estime toutefois que la Chine ne souhaite pas soutenir Moscou sur le plan tactique. En effet:
Feigenbaum évoque le fait que les pays d'Asie centrale craignent la Russie, mais pourquoi?
Tout d'abord, il convient de préciser quels sont les Etats membres de l'OCS:
Les pays d'Asie centrale que sont le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan sont des Etats postsoviétiques. Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en violation du droit international, ils s'inquiètent de voir Poutine vouloir reconstruire l'Union soviétique et, le cas échéant, les envahir.
Le Kazakhstan adopte même une approche assez provocatrice. Il veut par exemple se conformer aux sanctions de l'Union européenne (UE) contre la Russie. De plus, le Kazakhstan ne reconnaît pas les régions ukrainiennes de Donetsk et de Loughansk, annexées par la Russie, en tant qu'Etats.
Le sommet de l'OCS a également des raisons économiques: selon les données officielles de Moscou, la Russie livrera cette année environ 50 milliards de mètres cubes de gaz en moins à l'Europe que l'année précédente et compensera ce volume par un nouveau partenariat. C'est ce qu'a annoncé, jeudi, le ministre russe de l'Energie, Alexandre Nowak, à l'agence de presse Interfax.
Le Russe a accusé l'UE de tenter de neutraliser le marché. Il estime, toutefois, que le prix du gaz ne peut pas être influencé par l'introduction d'un impôt sur les bénéfices.
Il veut compenser les livraisons perdues vers l'Europe par un gazoduc vers la Chine. Un contrat à cet effet serait déjà en cours de planification. «Nous espérons parvenir prochainement à un accord définitif sur "la force de la Sibérie 2". Le volume est d'environ 50 milliards de mètres cubes», a déclaré Nowak.
(Avec du matériel de dpa)