L'entêtement de Vladimir Poutine à ne pas vouloir perdre la guerre nous est à ce point contrariant que sa chute est devenue une marotte réconfortante. Une petite musique que l'on se chantonne avant d'aller dormir, dans l'espoir que le principal intéressé nous entende enfin, et prenne les dispositions qui s'imposent.
Trois petits jours avant les offensives russes musclées de ce lundi, le général français Michel Yakovleff, ancienne huile de l'Otan, a rêvé plus haut que tout le monde sur le plateau de BFM:
Comme dans un western ou un concours de bras de fer, il y a toujours ce moment où l’on tente d’inséminer prématurément la défaite dans l’esprit d'un ennemi qu'on espérait un poil moins combatif. A ce petit jeu, il faut avouer que Vladimir Poutine fait office de charognard particulièrement pugnace. Si la géopolitique moderne était un service de soins palliatifs, on dirait qu'il s'accroche, le bougre.
L’empressement avec lequel le monde occidental espère sa chute définitive, se mesure au degré d’imprécision qui la documente. Si Poutine a bien subi des pertes et de nombreux revers depuis le début de la guerre, une déconvenue militaire n’est pas une défaite et personne n'a jamais hissé le drapeau blanc à la moindre déculottée.
Alors, certes, c'est un peu désagréable à entendre, mais Vladimir Poutine n'a toujours pas perdu la guerre. Et watson n'est pas meilleur que les autres lorsqu'il s'agit de parier sur la date de péremption d'un despote qui menace la planète du bout d'une ogive nucléaire.
Ne nous méprenons pas, la Russie a agressé l'Ukraine. Si nous étions dans un bar malfamé, nous dirions simplement que Poutine a sorti les poings en premier. Notre coeur étant logiquement blotti contre celui qui a la mâchoire brisée, nous observons les joutes armées comme si chaque petit soufflet ukrainien avait le pouvoir de faire basculer la victoire dans les rues de Kiev et Poutine dans sa propre tombe.
On ricane de quelques ivrognes russes forcés de se dépatouiller avec des fusils rouillés? C'est parce qu'on aime ignorer tous les autres, sobres, formés, armés et prêts à en découdre.
Le 30 septembre dernier, Vladimir Poutine a fait taire de nombreux fantasmes qui vivotaient dans nos têtes. Histoire de formaliser ce qu'il nomme «l'annexion» de quatre grandes régions ukrainiennes, celui qu'on disait aux abois, au pied du mur, malade, mourant ou même déjà mort a bombé le torse durant une heure, dans un discours plus dur que jamais et adressé notamment à ses «ennemis» occidentaux.
Nous sommes tous restés plus ou moins bouche bée devant nos téléviseurs, à vaguement pester contre sa folie propagandiste, histoire d'avoir un peu moins peur. L'éditorialiste politique de LCI est allé jusqu'à décongeler notre humilité pour ajuster les pendules.
Les images d’un Poutine manifestement en forme aujourd’hui rendent humble face aux rumeurs il y a quelques mois d’un homme très malade et physiquement impotent
— Renaud Pila (@renaudpila) September 30, 2022
En d'autres termes, ce jour-là, ça nous a fait mal au cul de découvrir un Poutine à la santé impérieuse. Nous qui nous persuadions du contraire à grandes gorgées de triomphalisme un poil biaisé. Par notre satané empressement, mais aussi par une propension à analyser le conflit par le prisme d'une empathie naturelle.
C'est vrai, l'armée russe patauge, recule, grogne, meurt aussi, déserte même parfois. Sa garde rapprochée ose remettre en question ses stratégies. Oui, Vladimir Poutine pensait il y a sept mois que Kiev finirait dans sa poche en trois petits jours.
Plus précis encore, les calculs de Christo Grozev, directeur du groupe d’investigation Bellingcat, prédisent que «si ça continue, Poutine tombera d’ici un an». Nos désirs présents ne sont encore que d'hypothétiques réalités futures. Si Vladimir Poutine venait à capituler ou crever d'un cancer généralisé dans dix ans, on pourra toujours rappeler haut et fort: «Vous voyez? On vous l'avait dit!»
Pour l'heure, Poutine a récupéré quatre grands territoires ukrainiens, bombarde la capitale quand il le souhaite et possède certainement sa propre définition de la défaite. Tout comme nous aimons parfois confondre guerre et bataille lorsqu'il s'agit de compter les points. Les récents bombardements russes sont peut-être un nouvel aveu de faiblesse du Kremlin. Mais quand on veut faire valser définitivement l'ennemi, lui marcher sur le pied en allant plus vite la musique, ça ne suffit jamais vraiment.