Doit-on plaindre Facebook, désormais Meta? Cette multinationale très américaine ne mérite-t-elle pas l’opprobre qui la frappe? Dans un scénario là aussi très américain, impeccable d’efficacité et d’émotion, une ancienne employée du géant bleu, Frances Haugen, des airs de Clare Danes dans la série Homeland, fait des révélations fracassantes dans le décorum de la plus grande démocratie du monde.
Au Congrès, à Washington, elle l’affirme: ça déconne grave à Palo Alto, siège de la «Facebook House», en Californie. Mark Zuckerberg et ses équipes ne parviennent plus à maîtriser l’ensemble des contenus publiés par les quelque 3,5 milliards d’utilisateurs de la plateforme. Le réseau social, à l’origine assez potache (des prémices admirablement rendues par David Fincher dans le film Social Network), constitue désormais un réservoir de haine indomptable.
Pas seulement dans des pays insuffisamment dotés en personnel capable de contrôler le contenu des publications, mais, on s'en doutait un peu, aux Etats-Unis même, comme l’indique une enquête parue dans la Tribune de Genève:
On apprend aussi que les algorithmes développés par Facebook, sortes de pilotes automatiques de la régulation des contenus, sont à la ramasse. Mais cela date-t-il d’aujourd’hui? Face au nombre gigantesque d’utilisateurs, la firme américaine était-elle tenue à l’impossible?
Pour Facebook, moins un sérieux problème technique à résoudre, qu’une douloureuse question politique à affronter.
Son image de pestiféré tranche avec celle de libérateur qui était la sienne il n’y a pas si longtemps. Son rôle joué lors des printemps arabes de Tunisie et d’Egypte au début de 2011 fut loué par l’ensemble des démocrates. «Les militants arabes ont pendant des années rêvé de révolte, mais pour mettre fin à des décennies d’autocratie, ils avaient besoin d'un outil de mobilisation rapide et anonyme et d'un espace d'organisation: Ce fut Facebook», résumait un article paru dans la presse française. Bis repetita deux ans plus tard en Ukraine, avec la création de la page «Euromaidan», qui réunit alors les opposants au pouvoir pro-russe du dirigeant Viktor Ianoukovitch.
Que s’est-il passé dans l’intervalle pour qu’on assiste aujourd’hui à un tel renversement de perception?
Le problème aujourd’hui posé par Facebook est probablement, avant tout autre chose, un problème américain. De toutes les démocraties, l’américaine passe (passait) pour la plus intégrale en termes de liberté d’expression. Les lois antiracistes, c’était bon pour ces Européens fragiles. Mais cette conception de la liberté vaste comme les Etats-Unis était valable au temps des publications confidentielles sur papier et des réunions semi-clandestines. La liberté intégrale se marie mal avec l'impression de puissance infinie conférée par les réseaux sociaux.
En termes d’expression, de création, de provocation, de folie douce, l’Amérique fait face à deux dangers, l’un et l’autre interagissant négativement: le suprémacisme blanc, de nature violente, et le catéchisme woke, de nature inquisitoriale. C’est un peu de cela qu’il est question dans la crise dont Facebook est en partie responsable et en partie la proie. Le changement de nom de l'entreprise, qui s'appelle à présent Meta, est, pour la marque, une manière de tourner la page.