Garant de la constitutionnalité des lois et par là même de la démocratie, le Conseil constitutionnel s’apprête à rendre son verdict au sujet de la réforme des retraites. Cette cour suprême à la française fera connaître sa décision vendredi. Roulement de tambour. La crise ouverte en janvier par ce projet repoussant à 64 ans l’âge légal de départ à la retraite est censée vivre son épilogue. Quant aux Français opposés à la réforme, descendus à onze reprises dans la rue, sans compter une douzième fois ce jeudi, le scénario voudrait qu’ils se plient à la bienséance des lois et de leur parcours, quelle qu’en soit ici l’issue. Un peu gros…
Oui, dans une démocratie idéale, tout devrait rentrer dans l’ordre vendredi, que le Conseil constitutionnel rejette, censure partiellement ou valide la réforme. Un plein rejet calmerait à n’en point douter la rue, qui crierait victoire. Les deux autres options, pas même une censure partielle, qui, le cas échéant, ne devrait pas porter sur l’aspect le plus polémique, les 64 ans, ne garantissent le retour à la paix.
Dans l’intersyndicale, restée dans les clous de la légalité républicaine tout au long de son combat contre la réforme, Laurent Berger, le leader de la CFDT, syndicat réformiste, a prévenu qu’il ne remettrait pas en cause la décision des neuf sages composant le Conseil constitutionnel (trois sont nommés par le président de la République, trois par le président de l'Assemblée nationale, trois par le président du Sénat). «Il n’y aura pas de jeu de la CFDT consistant à dire "c’est dégueulasse, le Conseil est constitué d’untel"», a assuré le chef syndical.
Mais que diront les organisations de travailleurs au profil plus révolutionnaire, la CGT en tête? Si le Conseil constitutionnel ne leur donne pas raison, continueront-elles d’appeler à la mobilisation aussi longtemps que le président de la République, tenu de promulguer la réforme si les Sages l’approuvent, ne la rendra pas inopérante dans les faits?
Avec le Conseil constitutionnel, on touche à ce qu’il y a en principe de plus sacré dans la Ve République. Si, dès vendredi, à la suite d’une décision entérinant la réforme des retraites, cette instance devait être contestée dans sa légitimité, par plus que l’habituelle extrême gauche, cela pourrait mettre à mal l’actuel régime démocratique français et concourir à son instabilité, Emmanuel Macron, protecteur des institutions, apparaissant à certains comme son fossoyeur à force d’entêtement. Peut-être joue-t-on ici à se faire peur, mais c’est tout l’enjeu de cette mise en scène convoquant la pompe républicaine à quelques heures du rendu dudit Conseil.
Mais c’est bien avec le feu qu’ont joué ces derniers jours deux commentateurs de la vie politique classés à gauche. Le décrypteur de discours Clément Viktorovitch a titré de manière provocante sa chronique diffusée le 9 avril sur Franceinfo, le propos développé étant plus mesuré: «Réforme des retraites: peut-on faire confiance au Conseil constitutionnel?» Comme si cette confiance n'allait pas de soi.
Dans le quotidien Le Monde, l’économiste Thomas Piketty paraît considérer par avance qu’une décision du Conseil constitutionnel qui ne censurerait pas complètement la réforme sera marquée par une défiance populaire en quelque sorte légitime, les juges constitutionnels apparaissant comme les «complices des puissants».
Paradoxalement, précisément parce qu’elle est opposée à la réforme, on ne voit que Marine Le Pen pour secourir Emmanuel Macron si la colère ne retombait pas: en prenant rendez-vous avec les Français dans quatre ans. Mais quatre ans, c’est un peu long.