Le ralliement de Mark Zuckerberg à Donald Trump a fait l’effet d’une trahison chez ceux qui voyaient dans Facebook et Instagram des Princesse Leia résistant à Dark Vador, alias X, alias Musk. On aurait dû se méfier: la prise de muscle du petit génie de Harvard et fondateur du premier réseau social planétaire annonçait sa conversion masculiniste. Trêve de plaisanteries? Pas sûr qu’on rigole.
A quel moment de sa vie entrepreneuriale Mark Zuckerberg est-il le plus sincère? A sa période déconstruite, petit cœur et bol de céréales? Ou lorsqu’il fait l’homme protéiné en transit vers la cage MMA, son objectif en 2025? Quel rapport tout cela a-t-il avec sa décision de supprimer le service des fact-checkers sur Facebook et Instagram, direz-vous? Tout se tient.
Les fact-checkers, c’est pour les fragiles, pense peut-être Mark Zuckerberg à la suite d’Elon Musk et Donald Trump. Il faut savoir encaisser l’offense, le désagrément, le propos contradictoire. L’individu doit être capable de répondre à l’adversaire en établissant un rapport de force. Cette conception qui idéalise la libre expression peut cependant dégénérer lorsqu'elle pousse à tuer celui qui l'exprime ou celui qui se sent offensé.
En extrapolant, cette idéologie libertarienne est conforme à la pratique du deal viril que Donald Trump veut instaurer dans les relations entre Etats en lieu et place de la régulation par les traités internationaux – du deal viril à la domination, il n’y a toutefois qu’un pas, comme on s’en aperçoit dans l’affaire du Groenland.
Le retournement, sincère ou non, de Marc Zuckerberg, est un résumé de la dernière élection présidentielle américaine: le peuple dans sa majorité a rejeté les idées wokes, associées à la transidentité, autrement dit à la perte des repères hommes-femmes qui fondent le sens commun et permettent la pérennité de l'espèce humaine.
Les démocrates aux Etats-Unis, en ayant soutenu ou en s’étant abstenus de critiquer le wokisme, autrement appelé politique de l’identité, que chacun savait pourtant minoritaire dans la société, ont favorisé un retour de bâton viriliste et conservateur, dont on espère qu’il ne sera préjudiciable ni aux minorités sexuelles, ni aux femmes, qui avaient obtenu le droit de vivre en sécurité et en autonomie, ayant acquis le droit à l'avortement, cela, bien avant l’irruption dans le champ politique, publicitaire et médiatique de l’idéologie déconstructionniste, éradicatrice des systèmes de valeurs.
Comme dirait l’autre, il s'agit à présent de ne pas jeter le bébé – le primat de la vérité sur le mensonge, l’Etat de droit, la protection des minorités – avec l’eau du bain wokiste. Cela va notamment se jouer sur les réseaux sociaux, qui, contrairement à ce que prétendent certains, n’ont pas attendu Elon Musk pour propager le complotisme, la haine et la bêtise. Les «notes de communauté» permettant de contrer des arguments fallacieux, en vigueur sur X et qui seront élargies à Facebook, sans être la panacée, sont plutôt un bon outil.👇
Les appels de la «résistance» à quitter X depuis l'élection de Donald Trump, alors qu'Elon Musk pointe son rayon laser sur des premiers ministres européens en exercice, ont ce côté «faux-cul» de ceux qui pensent avoir raison, tout en estimant ne pas avoir à le démontrer, ne serait-ce qu'en affrontant les diffuseurs de fake-news.
Ce que Musk et Zuckerberg reprochent aux fact-checkers, c’est d’être au service de la pensée dominante. Par pensée dominante, ils entendent «idées progressistes». Ils affirment que la mission des fact-checkers, dont ils se sont débarrassés, était moins de traquer les mensonges que de faire en sorte que les gens pensent dans les clous. Ont-ils raison? Si dénoncer les faits mensongers et notamment les propos complotistes reste, à notre sens, indispensable, les fact-checkers ont parfois tendance à se montrer complaisants avec ceux qui pensent comme eux ou, encore, se résignent à ne pas faire de vagues.
Là où Elon Musk risque d’entraîner les démocraties vers les récifs, c'est en promouvant une vision qui se passe du travail des médias et du rôle des corps constitués, à commencer par le parlement. On ne combat pas les ratés et insuffisances de l'Etat en désignant des boucs émissaires. Le populisme du richissime propriétaire de X ouvre un boulevard aux certitudes au détriment de la recherche de la vérité. Le scientifique qu'il est sait pourtant ce que ses réalisations technologiques doivent aux hypothèses et à la raison.
C'est pourquoi il est du devoir des démocraties de contrer ses tentatives d'influer dans les campagnes électorales, non pas en le privant de parole, mais en la soumettant, de même que ses algorithmes s'il y a lieu, aux règles du débat et à la satyre, domaine par excellence de la libre expression, comme Charlie Hebdo s'y est employé cette semaine.👇
Le politiquement correct et son avatar le wokisme ont causé un tort considérable en inhibant la parole qui, aujourd'hui, jaillit tel un tsunami. Mais il y a pire tort encore: la fin de l’Etat de droit qui fonde notre démocratie.