Comme les primevères au printemps, elles sont apparues un matin sans qu’on y prête attention. Ce sont les «notes de contexte», les «community notes», en anglais. Des termes bien polis pour désigner des petites tapes sur la nuque des menteurs compulsifs, des professionnels de la mauvaise foi, des complotistes en tout genre, des embobineurs de compétition. On parle ici du réseau X (anciennement Twitter), ce «parlement» où l’on peut dire n’importe quoi.
Justement, plus vraiment.
Surprise, c’est celui qui passe pour un gourou, un dictateur en puissance, Elon Musk, le nouveau patron de Twitter devenu X, qui a décidé de donner de l’importance à un outil anti-mensonges. Il s'agit d'une fonction créée en janvier 2021, avant son arrivée aux manettes de l’oiseau bleu, changé depuis en logo grungeo-sataniste, réminiscence de la génération X, celle du boss (tout s’explique).
C’est donc sous la houlette de cet homme assez imprévisible qu’une pointe de rationnel a été ajoutée dans l’eau bouillonnante des fakes news et des imprécisions chroniques. Jusqu’alors seulement disponible aux Etats-Unis, la fonction «notes de contexte» a été étendue en juin dernier à 44 autres pays, dont la Suisse et la France.
Tout détenteur d'un compte X depuis plus de six mois, n’ayant pas enfreint les règles du réseau et disposant d’un numéro de téléphone vérifié, peut intégrer la «communauté» des contributeurs rédigeant les fameuses notes. Pour en faire partie, il suffit de s’inscrire sur une page dédiée. Cela vous fait penser à Wikipédia? Il y a de cela, comme l'expliquait début août BFMTV, dans un article sur le fonctionnement des «community notes».
En vrai, ça donne quoi? Le 8 septembre, la députée française Sandrine Rousseau, interrogée par Franceinfo sur le «haka» des All Blacks, ce rituel guerrier interprété par l’équipe néozélandaise de rugby avant chaque match, disait regretter «des codes virilistes qui passent sous silence les compétitions féminines dans le sport».
L’élue écologiste, une fois encore, avait parlé sans s'accorder le temps de la réflexion: vidéo à l’appui, une note de contexte lui rappelait que le haka est aussi en vigueur dans l’équipe nationale féminine de rugby de Nouvelle-Zélande.
🔴🗣️"On ne va pas se mentir sur le fait que les codes du sport sont des codes qui sont adaptés aux hommes."
— franceinfo (@franceinfo) September 8, 2023
Interrogée sur le "haka" des All Blacks, la députée écologiste @sandrousseau regrette "des codes virilistes" qui passent sous silence les compétitions féminines dans le… pic.twitter.com/lj5cFycQb2
Sandrine Rousseau, on s’en doute, est une cliente de choix pour les rédacteurs de notes de contexte. Le complotiste antivax Florian Philippot aussi. Dans un post du 2 septembre, l’ex-numéro 2 du Rassemblement national semblait établir un lien entre la vaccination contre le Covid-19 et la mort, à 34 ans d’une crise cardiaque, d’un ancien international de basket français, décrit par Philippot comme un «sportif de haut niveau».
Une note de contexte apparaissait alors sous le tweet du président du parti Les Patriotes, défaisant ses sous-entendus: «Il s’agit d’un ANCIEN joueur international. La carrière professionnelle de Ludovic Vaty s’est brusquement arrêtée en 2013 en raison de soucis cardiaques.»
34 ans, ce sportif de haut niveau meurt d’une crise cardiaque ! Condoléances.
— Florian Philippot (@f_philippot) September 2, 2023
Ça doit cesser ! C’est quasiment quotidien désormais.https://t.co/NXYqpV1ncc
Covid toujours. Aux Etats-Unis, la «Community Notes» ne chôme pas. Donald Trump, il n’est pas le seul, lui donne beaucoup de travail. Le 30 août, l’ex-président des Etats-Unis, en campagne pour les primaires républicaines, s’en est pris aux «tyrans du Covid qui veulent nous priver de notre liberté», ajoutant que jamais lui et ses partisans «ne se soumettront».
Donald Trump a mauvaise mémoire. Durant la pandémie, alors président, il avait demandé aux Américains d’«éviter les rassemblements de plus de dix personnes, de manger et de boire en public, et encouragé l’école à domicile», signale une note de contexte.
TRUMP: "To every COVID tyrant who wants to take away our freedom - Hear these words: WE WILL NOT COMPLY. So, don't even think about it." pic.twitter.com/008tq7o3Yu
— Daily Caller (@DailyCaller) August 31, 2023
Est-ce parce qu’ils sont prompts à tordre les faits au profit de leurs combats idéologiques? Des membres de la gauche radicale font passablement l’objet de notes de contexte sur des sujets abrasifs. Le 7 septembre, Les Soulèvements de la Terre, que le gouvernement a tenté en vain de dissoudre, affirmait qu’un jeune de 16 ans qui roulait en scooter a été tué par une voiture de police l'ayant percuté.
Les faits rapportés dans une note de contexte étaient sensiblement différents: «Il (le jeune de 16 ans) conduisait une moto-cross et non un scooter. Il n'a pas été percuté, mais il a percuté une voiture de police de côté en en fuyant une deuxième pendant un refus d'obtempérer. Deux enquêtes sont en cours et les deux policiers conducteurs sont en garde à vue.»
Un jeune de 16 ans a été tué par la police aujourd'hui à #Elancourt. Il a été percuté, alors qu'il circulait en scooter.
— Les Soulèvements de la Terre (@lessoulevements) September 6, 2023
La police est raciste. Elle mutile, tue et exige l'impunité.
Soutien aux proches de la victime.https://t.co/Foti0D8hDV
Qui «se cache» derrière les notes de contexte? Visiblement des personnes qui en ont après les «bobards», ceux, en particulier, d’une certaine gauche. Mais aussi, et cela ne serait pas illogique, des pro-nucléaires, des militants laïques, pour tout dire des anti-wokes, soit un ensemble de personnes se réclamant de la «science» et de la «raison».
Pour avoir soutenu qu’un gynécologue ausculte des corps biologiques de femmes et peut donc être en droit de ne pas le faire pour une personne trans, ayant changé son identité d’homme en femme, la note en question a été qualifiée de «transphobe».
Quelques tweets sur ces sujets polémiques:
OMG le contexte écrit en dessous ? Est ce possible de vouloir sortir sa science et d’écrire des conneries pareilles ??
— méga turbo trans (@kingsauciflard) September 10, 2023
Un.e gynécologue peut, et s’occupe d’H trans et de F trans. Non un.e gynécologue ne prend pas simplement en charge les femmes cis, bien que ce soit une majorité https://t.co/3o0pdK04qt pic.twitter.com/mxLWfXxwfe
Cette note est encore une fois fausse. Les centrales sont les 2ème consommatrices d'eau derrière l'agriculture. Pour Civeaux, l'eau n'est restituée qu'à 63%. Il y a bien 120 millions de m3 d'eau stockée et des forages dans la nappe phréatique vont être opérationnels ce mois-ci.
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau) September 3, 2023
Le féminisme c'est bien. Le "féminisme blanc", beaucoup moins. On vous explique pourquoi. pic.twitter.com/qNAs3T8nKj
— AJ+ français (@ajplusfrancais) September 9, 2023
Les notes de contextes publiées sur le réseau X font penser à une démarche semblable, lancée cette année par «Médias Citoyens», un compte X qui traque les «dérives» des médias français.
Une question demeure: pourquoi ne voit-on pas davantage de notes de contexte rédigées par une extrême droite ou une extrême gauche qui serait aisément reconnaissable dans le ton? Peut-être parce que la réalité est précisément pour l’une et l’autre ce qui doit être dépassée, la vérité des faits comptant moins que la cause défendue.