On voudrait tant pouvoir le qualifier de clown. Le considérer comme un marginal, le réduire à un hurluberlu dont les idées sont dangereuses, mais la portée misérable. Il serait si simple d’en faire un bête forcené. De moquer son allure de fauve en fin de vie, son vocabulaire angulaire, ses inconsistances. Comme Kanye West ou ce chat qui s’étaient présentés, en même temps que lui, à la présidentielle de 2016.
Qu'il serait bon de pouvoir rire un bon coup et changer de trottoir, pour se focaliser sur les candidats un poil digne, avec un peu de sérieux et de mesure dans la besace. Des types certes ambitieux, suffisamment narcissique et qui n’ont pas toujours les mêmes idées que nous, mais dont on peut entendre les arguments sans vouloir défoncer son téléviseur. Sans se croire dans une fiction de Sacha Baron Cohen. Sans avoir la désagréable impression de s'être injecté de l'eau de Javel dans le conduit auditif et le nerf optique.
Il est loin ce temps où Kim Jong Un était le seul être humain dont on se fout doucement de la gueule, tant sa dangerosité crue et son pouvoir indélébile dépassent l'entendement. Tant il nous fait peur. Le dictateur dodu, hilare et démoniaque qui semble sortir tout droit d'une comédie américaine un peu fofolle. Or, même si une bombe nucléaire a le potentiel de nous tomber sur la tronche, la Corée du Nord, politiquement et culturellement, est à des années-lumière de nos préoccupations.
Quinze mois avant la présidentielle d'un pays dont les us, les burgers et les inventions parsèment nos journées, le monde entier se pose sérieusement la question si un milliardaire à la possibilité légale et constitutionnelle de gouverner la plus grande puissance mondiale depuis une cellule de prison. Et si les fourmis de l'administration et de la justice américaine se démènent pour pêcher une réponse, c'est d'abord parce que personne ne l'a, mais surtout que le scénario peut se concrétiser.
Alors, oui, pour nos amis américains, c'est un moment historique. Mais qu'est-ce qui est historique exactement? Donald Trump? Il y en a tant comme lui. Sa candidature? Valable et attendue. Ses mensonges? Un sacerdoce. Son programme? Sans surprise. Ses déboires judiciaires? Légitimes. Quoi, alors?
Son succès. Son influence actuelle, en occident, est proprement historique. Ce pouvoir démesuré, et littéralement soudé au sommet des sondages, nous empêche d'attendre sereinement une tradition démocratique majeure, qui consiste à laisser parler les urnes. Aujourd'hui, mercredi 23 août 2023, Donald Trump serait élu président des Etats-Unis, battant d'un poil de cul l'unique candidat démocrate présentable.
Comment souligner le caractère profondément historique d'une présidentielle américaine, lorsque l'on a déjà gâché l'expression pour décrire l'élection de novembre 2016, l'assaut de janvier 2021 et tout un tas d'inculpations en 2023? Comment comprendre et faire comprendre que Donald Trump n'est pas un clown, qu'il est dangereux de s'en amuser ou, pire, de s'en lasser?
Tant d'adjectifs obèses et définitifs ont déjà été jetés dans le chaudron mal décapé de l'actualité politique américaine. Parce que tout cela n'est pas seulement historique. C'est stupéfiant, impensable, alarmant, catastrophique. Ce qui est en train de se passer dans le pays de Mickey Mouse est grave. Mais le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine, le cancer ou un nouveau film avec Christian Clavier le sont tout autant.
Vous voyez? Les mots ne manquent pas. Ils sont terriblement impuissants. Nous sommes à des années-lumière de (vouloir?) réaliser combien les quinze prochains mois définiront la tronche de la démocratie américaine et dessineront la stabilité du monde. Les citoyens de ce grand pays ne sont déjà plus simplement en train de choisir un candidat. Et la justice n'est pas dans un processus ordinaire d'inculpation d'un criminel présumé. Un homme, mégalomane, dangereux et riche à crever est parvenu à hypnotiser suffisamment d'êtres humains pour prendre les Etats-Unis en otage.
Or, Donald Trump n'est pas l'unique coupable de ce gouffre à violences futures dans lequel il plonge une bonne partie de l'Occident. Les médias, trop facilement fascinés par le clown, parviennent difficilement à le priver d'audience. Le grand lâche dans cette histoire, c'est le parti républicain. Obsédé par sa volonté sourde de reprendre la présidence à Joe Biden, le Grand Old Party est prêt (pour l'instant) à catapulter un fou qu'il ne cautionne même plus. Incapables de proposer mieux, incapables de contenir les candidats farfelus, inconsistants ou dangereux qui fantasment de mettre le gourou MAGA au tapis, les conservateurs sont en train de ruiner leur réputation.
C'est pourtant à eux que revient l'immense responsabilité d'éteindre Donald Trump. De stopper la machine infernale. Quitte à perdre. Quitte à laisser le Bureau ovale aux démocrates quatre petites années de plus. Le jeu, et surtout la démocratie, en vaut la chandelle. Car, aujourd'hui, à quelques heures du premier débat de la primaire républicaine, GOP blesse profondément America.
Et c'est peut-être bien ça qui est historique, après tout.