Il y a six mois, jour pour jour, Elizabeth II poussait son dernier souffle et nous retenions le nôtre. Qui allait succéder au mythe? Charles, really? Ce prince moins flamboyant, moins graphique, raillé pour son amour des abeilles et des légumes bio avant l’heure? Celui associé pour toujours au mariage le plus désastreux (et le plus rentable) de mémoire de tabloïd? Pis encore, à la mort de Lady Di?
Autant dire que le prince Charles - euh, pardon, on doit dire roi, maintenant - avait, ou n'avait pas, tout ce qu'il faut pour nous décevoir. Six mois plus tard, force est de constater que le souverain est loin de s'être pris un râteau. Au contraire. Le roi-jardinier fait usage de ses dix doigts avec beaucoup d'habileté - et qu'importe s'ils sont boudinés.
Les Britanniques ont beau lui refuser le top des sondages de popularité, ils n'ont jamais nié au royal le plus actif de la monarchie britannique son sens du travail et son dévouement.
Réputé hyperactif (il peut aligner jusqu'à sept évènements par jour et ne prend même pas le temps qu'il faut pour déjeuner), parrain engagé d'une brochette honorable d'associations caritatives (on en dénombre au moins 400), Charles n'a pas trouvé dans son accession au trône une occasion pour souffler et poser son royal postérieur. Même si ce siège est le trône d'Angleterre.
Sitôt les adieux à la Reine terminés et les larmes du monde séchées, le successeur a pris les commandes avec un pragmatisme tout britannique. Au fil des bains de foule en kilt, des arbres plantés, des apparitions avec la fidèle Camilla, des jets d'œufs esquivés et des premiers ministres adoubés (deux en moins d'un mois, quand même), Charles III cultive son style avec autant de soin que ses potagers de Highgrove et ses outfits à l'élégance irréprochable.
Infiniment respectueux de l'institution et des traditions, le monarque ose flirter avec les limites de sa position avec bien plus d'audace que sa mère, la reine du silence. Ici et là, le souverain en herbe se laisse aller à quelques incursions politiques, sous forme d'un thé partagé avec Ursula von der Leyen ou d'une poignée de main virile avec Zelensky. Sans jamais basculer dans l'ingérence ou l'interventionnisme. La survie de la «Firme» en dépend.
Au-delà des terrains d'entraînement des soldats ukrainiens, Charles entend poser ses bottes cirées et sa marque sur la question sensible des dépenses royales. Par ces temps de crise économique et sociale, le royaume mérite une monarchie à un meilleur rapport qualité-prix.
Vendre du glamour, du rêve et des paillettes à moindre coût commence par un élagage de la famille royale. Alors, depuis six mois, Charles scie consciencieusement les branches inutiles et amène la royauté à son noyau dur. Oubliez le couronnement de quatre heures d'affilée avec 8000 invités, les cousins au douzième degré, la maison de campagne du fiston, les suites royales dans Buckingham Palace du frangin et tous les privilèges de naissance des royals éloignés qui n'en font pas leur métier.
Une manière aussi impitoyable qu'élégante, peut-être, de faire payer sa trahison au fils exilé en Californie. La tornade Harry et Meghan n'a pas épargné Charles. L'ampleur de la blessure, nous n'en saurons rien.
Sous couvert de l'adage éternel «Ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier», le roi a continué son travail sans accorder à Harry et aux médias l'honneur d'un commentaire ou d’un communiqué.
Le patriarche, pourtant, n'a pas la rancune tenace. La preuve: en guise de rameau d'olivier, il a offert le gîte et le couvert au couple qui lui mène la vie dure depuis des mois, à l'occasion de son couronnement en mai prochain. Une main tendue discrètement. L'occasion, peut-être, de renouer le dialogue. On l'ignore. C'est la beauté de la monarchie.
Voilà peut-être la conclusion à tirer de ces six premiers mois de règne. Charles est un chic type, à la personnalité aussi perchée et haut en couleur que les tailleurs d'Elizabeth. Un prince un peu trop pudique, trop passionné, pas assez malléable. Mais un roi dévoué, doté d'un sacré sens du devoir. Un roi digne de sa mère.