Un sondage au sortir des urnes, qui dit beaucoup plus que les résultats de la primaire: cette nuit, huit électeurs républicains sur dix ont considéré que Joe Biden avait volé l'élection de 2020. Huit. Sur. Dix.
Trois ans après l'impensable, à savoir l'assaut du Capitole et la crise de nerfs d'un vieil adolescent capricieux, l'autrefois vénérable Grand Old Party a couronné l'affabulateur le plus dangereux des Etats-Unis. Le New Hampshire, réputé pour son allergie aux despotes masculinistes, n'a laissé que de vagues miettes à la douce Nikki Haley. Ce fut pourtant suffisant pour qu'elle considère cette cuisante défaite comme une victoire.
On peut le comprendre. Pauvre Donald Trump. Rien de bien gratifiant de remporter une étape majeure de la primaire républicaine dans de pareilles conditions. Tout seul au milieu d'un ring désert, orphelin de la moindre goutte de sueur ou de sang, le favori à l'élection présidentielle dut, en plus, se coltiner l'optimisme clownesque d'une partie adverse en nage. «Bah, c'est déjà pas mal, je trouve», qu'a certainement lâché Nikki Haley, avant de s'endormir (sur ses lauriers).
Le milliardaire s'est donc mis en colère, frustré de ne pas pouvoir festoyer dignement, trucidant au passage la robe «bon marché» de celle qu'il somme désormais d'abandonner. Hélas, l'ancienne ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU a d'emblée annoncé qu'elle maintenait le cap. La raison? Les indépendants n’ont pas dit leur denier mot. Et Trump peut encore trébucher sur la justice. Sait-on jamais.
On croit rêver et c'est triste à dire: Donald Trump est le seul candidat à la Maison-Blanche abritant une véritable envie d'être élu. Certes, s'il mouille la chemise, c'est d'abord pour éviter de finir sa vie en prison. Mais la chemise est bel et bien détrempée. Face à lui, pas un pli et un tenace parfum de la défaite. De Ron DeSantis, que le New York Times réduit très justement à un petit roquet «émasculé» par le patron, à Nikki Haley, tous sont partis perdants, prétextant qu'un bon vieux passif-agressif allait suffire, face à cette pure agressivité. Quelle naïveté, quelle résignation, quelle suffisance.
Donald Trump ne s'est pas seulement convaincu d'avoir été détroussé en 2020. Il est parvenu embarquer les deux tiers des électeurs républicains dans sa paranoïa. Un navire qui, désormais, vogue à toute allure en direction du Bureau ovale. Sans la moindre vague, sans l'ombre d'un pirate suffisamment courageux pour couler l'embarcation avec panache et détermination. Ahurissant, mais affreusement cohérent.
Ce futur potentiel dictateur a bossé dur pour en arriver là. Trois ans de campagne endurante, les pieds dans la boue et les phalanges en activité constante sur les réseaux sociaux. Surtout, trois ans à déployer une stratégie qui a fait ses preuves: Donald Trump est considéré comme un président forcé à l'exil, qui n'aurait jamais dû être délogé de Washington. Pour les deux tiers des conservateurs, justice doit être rendue.
Dans un monde parfait, le milliardaire aurait dû s'écrouler tout seul, terrassé par le poids de ses histoires à dormir debout. Les démocrates et les modérés du GOP en ont d'ailleurs fait leur stratégie. Ricaner dans des pantoufles, en attendant la chute du grand dadais. Hélas, le monde n'est pas parfait. En 2024, croire que la vérité finira par triompher, sans y mettre la moitié d’un cœur, c'est jeter la démocratie au feu. Et, pour l'instant, c'est Donald Trump qui grille peinard des cervelas au-dessus des flammes.