Peut-on enfourcher une mini-moto en affichant son plus beau sourire, quand on vient de perdre violemment son fils de 17 ans? Cette question, qu'on aurait aimé ne pas avoir à poser, est sur toutes les lèvres depuis vingt-quatre heures. Jeudi, Mounia, la maman de Nahel, tué d'une balle policière à bout portant, a monopolisé l'attention de tout le pays. Une marche blanche en hommage à son «ange», son «meilleur ami», son «allié» s'était tenue à Nanterre. Au programme, foule dense, t-shirts uniformes, quelques échauffourées et des milliers d'objectifs. Si bien que cette maman s'est vue filmée et photographiée sous tous les angles.
On n'ose à peine s'imaginer la colère, l'incompréhension, la tristesse qui lacèrent cette maman depuis mardi matin. Or, Nahel n'est déjà plus son «bébé», mais celui de toute la nation. De l'incarnation d'une loi sur le refus d'obtempérer, à la voix des quartiers populaires. Du joujou politique, au détonateur des émeutes qui embrasent la France depuis mardi.
Son fils ne lui appartient plus. Hissée au sommet d'un convoi qui demande «Justice pour Nahel», Mounia a porté tout cela à la fois, sur des épaules qui ne seront jamais suffisamment solides. Ce petit bout de femme doit désormais se tenir en équilibre entre les hommages personnels de Yannick Noah ou Mbappé et les insultes de centaines d'internautes.
Oui, jeudi, Mounia a souri, pleuré, crié, chanté. Oui, Mounia a enfourché une petite moto, très populaire dans les banlieues françaises, à l'issue de cette marche blanche. «Surréaliste»? «Lunaire»? «Scandaleux»? «Hypocrite»? «Dégueulasse»?
La mère de #Nael cet après-midi. C’est juste surréaliste.#emeutes #Nanterre #Nahel pic.twitter.com/xITVHnSkb5
— Tanguy David (@tanguy_france) June 29, 2023
Non, personnel. Infiniment personnel. Le deuil, d'autant plus quand il doit se faire sous les yeux multiples de la République, laisse les survivants dans un tel état de choc, que toute attitude est, et sera, synonyme de courage. Elle aurait tout aussi bien pu se lancer dans un twerk endiablé, bouffer un Big Mac ou se payer une fringue au centre-ville entre deux revendications, que Mounia serait restée cette maman courageuse.
«La consolation est un mouvement vaste et profond qui a besoin d’espace. Et les désolés peuvent très bien se consoler entre eux.» Christophe André, célèbre psychiatre français, avait démarré son livre Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne par une lettre adressée à une maman, dont la fille est tombée sous les balles des terroristes du Bataclan, en 2015.
Des dizaines de victimes qui, au fil des semaines et des mois, ont incarné, malgré elles, un combat plus gros que leur propre existence, plus lourd que leur propre disparition. Le deuil des survivants, lui, suit le même chemin. Nahel, ce gamin de 17 ans qui n'avait certainement pas à crever, mardi à Nanterre, n'est pas encore enterré. Samedi, ses obsèques seront gigantesques. Samedi, Mounia portera, une nouvelle fois, l'espoir et les attentes de beaucoup trop d'inconnus. Son deuil, le vrai, attendra. Quand les rues se seront apaisées et qu'elle aura le temps de pleurer à huis clos.