En 2005, l’état d’urgence avait été décrété douze jours après le début des émeutes dans les banlieues. Le délai pourrait être cette fois-ci beaucoup plus court. «Encore une nuit comme la nuit dernière, et le gouvernement pourrait prendre cette mesure d’exception», imagine Abdelkrim Branine. Des commissariats, des mairies, des écoles, un tramway, des véhicules incendiés. Une prison attaquée. Des policiers pris pour cible.
Dix des douze régions métropolitaines ont été en proie à des violences urbaines dans la nuit de mercredi à jeudi. En 2005, le «feu», qui avait pris d'abord à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, ne s’était pas étendu si vite, ni avec autant d’intensité au reste du territoire. L’état d’urgence permet de prendre des mesures limitant les libertés publiques, comme l’instauration d’un couvre-feu, à quoi s’était résolu le premier ministre Dominique de Villepin en 2005. Du jamais vu en France métropolitaine depuis la fin de la guerre d’Algérie en 1962.
«Je ne pense pas que le gouvernement puisse laisser se répandre ainsi la colère et les dégradations, alors qu’on va rentrer dans le week-end, au cours duquel la situation pourrait empirer», reprend Abdelkrim Branine, journaliste et écrivain. Paru en 2022, son roman Le petit sultan (éditions Zellige) tient de l’anticipation: l’action se passe à Nanterre et met notamment en scène une bavure policière, avec une voiture criblée de balles, qui termine sa course contre un mur et dont on ressort un mort. Un «petit», comme on dit souvent d’un mineur en banlieue. C’est à Nanterre qu’a été tué Nahel, 17 ans, mardi, dans des circonstances approchantes.
Des mariages prévus samedi pourraient bien être reportés et pas qu'en banlieue parisienne. Pourquoi cette si soudaine flambée de violence, presque partout en France?
Surtout, le déchainement de violence des deux dernières nuits est comme en proportion de la sidération provoquée par les images hallucinantes de la mort du jeune homme.
Relayé par le rappeur Rohff, un témoignage présenté comme celui du «troisième passager» de la voiture dans laquelle Nahel a trouvé la mort, circule sur les réseaux sociaux. On y lit qu’il y a bien eu refus d’obtempérer, mais que Nahel aurait reçu des coups de crosse assénés par l’un des policiers et, de ce fait, levé par mégarde son pied de la pédale de frein, alors qu’une vitesse était engagée, la voiture à boîtier automatique se remettant à rouler d’elle-même. Véridique ou fake, ce «témoignage» ajoute à la colère.
On a franchi un cap. La «mort en direct» d’un adolescent, dans ces conditions, c’est, si l’on peut dire, une première. Abdelkrim le redoute:
Le journaliste et écrivain en veut à ceux qui «jettent de l’huile sur le feu, à cette gauche qui tente honteusement de récupérer le drame, à cette droite qui se félicite de la mort de Nahel, à ces bobos qui n’habitent pas en banlieue et qui appellent à l’insurrection ou refusent d’appeler au calme, c’est irresponsable de leur part».
Comme ils en ont le droit, des maires ont instauré un couvre-feu dans leur commune. C'est le cas à Clamart, dans les Hauts-de-Seine, après qu'un tram a été incendié dans la nuit de mercredi à jeudi. La municipalité ferme les équipements publics et annule toutes les manifestations prévues, jusqu’à dimanche. Des lignes de bus et de tram seront fermées à partir de 21 heures en Ile-de-France.
Jeudi, à Nanterre, la marche blanche organisée en hommage à Nahel, a été émaillée d’affrontements entre la police et des jeunes venus pour en découdre. Des voitures et des parties de bâtiments ont à nouveau été incendiées par des casseurs. La mise en examen pour homicide volontaire du policier à l'origine du coup de feu mortel, assortie de son placement en détention provisoire, jeudi en fin d'après-midi, n'a pas suffi à ramener le calme, priorité absolue du gouvernement. Des émeutes ont à nouveau éclaté dans la soirée, entre autres à Marseille et Besançon. Quarante mille policiers, parmi eux des éléments du Raid et de la BRI, des unités d'élite, ont été déployés dans toute la France.