En août 2021, après la prise de pouvoir éclair des talibans en Afghanistan, leurs combattants ont exécuté treize personnes de la minorité hazara dans la province de Daikundi, où je suis née. Amnesty International a déclaré que ces exécutions extrajudiciaires s'apparentent à « des crimes de guerre ».
Ce n'est là qu'un exemple de la cruauté des talibans. Ces derniers mois, 20 autres civils auraient été massacrés dans la vallée du Panjshir, des agriculteurs hazaras auraient été chassés de leurs terres et les journalistes sont arrêtés et persécutés dans tout le pays.
Depuis leur première arrivée au pouvoir en 1996, les talibans ont bénéficié d'une impunité quasi totale pour ces crimes. Elle leur a permis de continuer à commettre des atrocités sans crainte de poursuites, de sanctions ou de toute autre forme de responsabilité.
Cela a de graves conséquences pour l'avenir de l'Afghanistan.
Les talibans sont bien connus pour les graves violations des droits humains qu'ils ont commises entre 1996 et 2001. Il s'agit notamment de massacres de civils, d'incendies de villages et de vergers, de torture de détenus et de déplacement forcé de civils.
Parmi ces exactions, l'une des pires eut lieu en 1998, dans la ville de Mazar i-Sharif, dans le nord de l'Afghanistan. 2 000 civils y furent abattus lorsque les talibans ont pris la ville, les minorités ethniques hazara, tadjik et ouzbek étant particulièrement visées.
De janvier à novembre 2001, les talibans ont perpétré plusieurs massacres dans la province de Bamyan. 178 civils furent tués en une seule journée dans la ville de Yakawlang.
Après l'invasion de l'Afghanistan par les Etats-Unis en novembre 2001 et le renversement des talibans, le pays s'est enfoncé dans une guerre asymétrique, durant laquelle le groupe a continué à commettre des crimes.
Au cours de cette période, les talibans ont continué à:
Malgré le vif désir de justice exprimé par les victimes des crimes commis par les talibans, aucun mécanisme de détermination des responsabilités n'a été adopté, que ce soit en Afghanistan ou au niveau international, pour répondre à ces atrocités.
Depuis 2001, le système judiciaire afghan est généralement considéré comme une institution effondrée, caractérisée par un manque de ressources, l'inexistence de dispositions légales adéquates et une corruption généralisée. Par ailleurs, les lois d'amnistie ont protégé les auteurs de crimes de guerre, tandis qu'un manque d'impartialité a entaché les procédures pénales qui ont eu lieu. Dans le même temps, les systèmes de justice informels ont proliféré dans tout le pays.
De même, le gouvernement afghan ne faisait preuve que d'une volonté politique très limitée pour poursuivre les talibans lorsqu'ils n'étaient pas au pouvoir, les justifications de paix et de sécurité étant invoquées pour éviter les poursuites.
Enfin, dans le cadre de l'accord conclu entre l'administration Trump et les talibans en février 2020, 5 000 membres talibans ont été libérés, parmi lesquels environ 400 étaient liés à des crimes majeurs.
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— The Conversation France (@FR_Conversation) September 17, 2020
Comme il y a peu d'espoir que justice soit rendue sous le régime taliban en Afghanistan, c'est à la communauté internationale qu'il revient de mener ces batailles juridiques.
La Cour pénale internationale (CPI) examine la situation en Afghanistan depuis 2007, et son procureur a demandé en 2017 l'autorisation d'enquêter sur les crimes commis dans le pays par les talibans, les forces gouvernementales afghanes et les forces étrangères depuis 2003.
Pourtant, il n'est pas réaliste d'espérer que la CPI -qui est fortement tributaire de la coopération des États membres pour l'émission de mandats d'arrêt, la collecte de preuves et d'informations et l'exécution des jugements- puisse juger et condamner les talibans à elle seule. Il convient par ailleurs de rappeler que les États-Unis, l'acteur international le plus important en Afghanistan depuis des décennies, ne sont pas membres de la CPI.
Le cas du Soudan montre bien combien il peut être difficile de rendre justice pour la CPI. Bien qu'elle ait émis deux mandats d'arrêt à l'encontre de l'ancien président Omar Al-Bashir pour des allégations de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide, elle n'a pas encore été en mesure de le juger, en raison d'années de non-coopération entre États, rendant impossible son arrestation. Ce n'est qu'en 2020 que le gouvernement de transition du Soudan a accepté de coopérer avec la CPI.
En dehors des tribunaux internationaux, les membres de la communauté internationale, y compris les gouvernements nationaux, les ONG, les communautés universitaires et les personnes militant pour les droits humains, peuvent travailler ensemble pour demander des comptes sur les crimes commis par les talibans. Cela pourrait inclure des mesures telles que l'établissement d'une commission de vérité et de réconciliation, ou l'utilisation de procédures coutumières pour faire entendre la voix des victimes sur les crimes passés.
Dans le cadre d'une telle approche, il est important de tenir compte des expériences de pays comme l'Afrique du Sud, l'Ouganda, le Kosovo, la Sierra Leone ou le Timor-Leste dans la recherche de solutions de justice alternatives. En même temps, la complexité du contexte politique, social et culturel de l'Afghanistan ne doit pas être ignorée.
Mettre les auteurs d'injustices passées face à leurs responsabilités est essentiel pour éviter de futures atrocités. En accordant jusqu'à présent une immunité permanente aux talibans, on envoie le message qu'ils peuvent continuer à commettre les crimes les plus effroyables sans crainte de poursuites. (myrt)
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original