En Russie, les gros bras commencent à se faire rares. Entre les hommes morts au combat et ceux qui se battent encore en Ukraine, l'économie russe commence à manquer de travailleurs. Pour régler ce problème, Poutine a décidé de se tourner vers son allié le plus servile et dont la population est la plus pauvre: la Corée du Nord.
La dictature totale du chef suprême Kim Jong-Un est connue pour avoir aidé Poutine dans son effort de guerre: envoi de munition, de matériel et surtout de troupes qui se battent — et meurent — sur le front ukrainien.
Cette fois-ci, c'est pour la société civile russe que les sujets du glorieux leader se démènent. «La Russie souffre d'une grave pénurie de main-d'œuvre et les travailleurs nord-coréens sont la solution idéale», analyse Andreï Lankov, pour le média britannique BBC. Ce professeur russe à Séoul est expert des relations entre Moscou et la péninsule coréenne.
Les services de renseignement sud-coréens, qui observent avec précision ce qui se passe chez leur voisin du nord, ont remarqué une augmentation des départs à destination de la Russie. En 2024, au moins 13 000 travailleurs détachés nord-coréens ont été envoyés en Russie.
Ils seraient présents partout en Russie, dans le secteur de la construction, mais aussi dans des usines textiles. Certains sont aussi informaticiens, aidant la Russie dans leurs tentatives de désinformation à l'étranger.
Les Nord-Coréens sont surtout dépêchés non loin de leur pays, dans l'extrême-orient russe, où se trouve notamment la ville et base navale de Vladivostok. Là-bas, ils sont actifs dans le milieu de la construction. Les conditions de travail sont décrites comme «épouvantables». Surveillés en permanence par des agents de la police politique nord-coréenne, également dépêchés sur place, ils y travaillent jusqu'à 18 heures par jour, dans des conditions de sécurité très précaires. Kang Dong-wan, un professeur sud-coréen qui a analysé leur quotidien, note:
L'un d'eux lui a décrit comment il a subi un accident du travail très sérieux: une chute de quatre mètres, qui lui a laissé des blessures importantes au visage. Mais les «gardes» l'ont empêché d'aller à l'hôpital.
Les «employés» ont deux jours de congé par an. Certains jours, ils finissent le travail à deux heures du matin et doivent se réveiller à six heures. Terrassés par la fatigue, certains dorment debout au travail ou se cachent pour faire une sieste. S'ils sont repérés, ils sont battus.
Quand ils ont le droit de dormir, c'est au sein même des chantiers, souvent à même le sol des immeubles en construction. «Ils doivent tirer des bâches sur les encadrements de portes pour se protéger du froid», note Kang Dong-wan. Quand on les laisse se reposer dans des conteneurs, ceux-ci sont «sales, surpeuplés et remplis d'insectes».
Pourtant, ces Nord-coréens se bousculent pour avoir le privilège d'aller gagner leur croûte en Russie et sont sélectionnés sur le volet, aussi en fonction de leur allégeance au régime. En cause: une paie qui, même si ridicule sur des standards internationaux, représente un petit pactole en Corée du nord.
C'est souvent sur place que ces esclaves modernes déchantent, face à ces conditions de travail terribles et en remarquant qu'ils triment trois fois plus que les travailleurs d'Asie centrale, pour un salaire cinq fois moins élevé.
Certains sont alors tentés de fuir, malgré le fait que leur paie est directement envoyée au pays par le régime, et qu'ils ne reverront pas leur famille. L'accès à des smartphones bon marché — interdits par les gardes—, un peu d'argent de poche et de rares sorties entre camarades sont autant de moyens pour tenter leur chance.
Même dans ces conditions difficiles, la Russie reste plus facile à fuir que la Corée du Nord, entourée de barbelés, de tours de guet et de gardes prêts à ouvrir le feu à tout moment. Une poignée d'entre eux, entre dix et vingt personnes, y arrive chaque année.
Les travailleurs détachés nord-coréens en Russie ne sont pas une nouveauté. Dans les années 2010, des dizaines de milliers d'entre eux étaient déjà présents sur des chantiers à Vladivostok. En 2019, les Nations unies ont interdit leur emploi pour faire pression financièrement sur le régime du Juche, qui développe des armes nucléaires.
La Russie, alors encore dans le giron du concert des nations, avait accepté de les renvoyer. Mais depuis le début de la guerre en Ukraine, Moscou n'a plus de problème à revenir à ces méthodes. Au moins 8000 travailleurs nord-coréens seraient entrés en Russie grâce à un «visa étudiant». Une astuce qui ne dupe personne, mais permet au régime de Poutine de maintenir le flou vis-à-vis des instances internationales.