Certains diront qu'elle a fait sa meuf. Verbe émouvant, larmes aux bords des yeux, discours parsemé d'aveux de fatigue et de volonté de se concentrer sur la famille. «Marions-nous!», qu'elle a même lancé à son amoureux pour clore une prise de parole qui a surpris tout le monde.
D'autres diront qu'aujourd'hui, à la moindre poussière de difficulté, à la moindre grippette de popularité, ça lâche l'accélérateur pour respirer dans un sac sur la bande d'arrêt d'urgence. Que c'est pas surprenant, vu son manque d'expérience en politique.
Pauvre gosse. La politique, c'est pas pour les faibles.
Jeudi 19 janvier, Jacinda Ardern, 42 ans, cheffe du gouvernement néo-zélandais, a posé sa dem'. Personne ne l'a poussée dehors, aucun scandale ne pendait à son avenir. Cette ancienne DJ amateure avait été propulsée, cinq ans plus tôt, au sommet des rêves travaillistes les plus fous. Un rêve devenu subitement réalité en 2017: plus jeune première ministre kiwie depuis 160 ans. Deuxième première ministre au monde à accoucher durant son mandat.
Cette farouche anti-Trump avait suscité une «Jacindamania». C'est comme ça qu'on dit, aujourd'hui, quand un politicien n'est pas d'emblée promis à l'échafaud. Raison pour laquelle la marionnette télévisuelle du milliardaire a bien dû se contenter, jeudi matin sur Fox news, d'égratigner le physique de celle qui «tourmentait ses concitoyens».
2/ Compte rendu dans l’émission la plus regardée de Fox News :
— Philippe Corbé (@PhilippeCorbe) January 19, 2023
« Rare bonne nouvelle. L'épouvantable Premiere ministre de Nouvelle-Zélande, la dame aux grandes dents qui tourmentait ses concitoyens, vient d'annoncer qu'elle quitte ses fonctions »
pic.twitter.com/sC9jaszi16
Les dents, parlons-en. En deux mandats, Jacinda en a pris des caisses dans la tronche. La tuerie de masse dans deux mosquées de Christchurch en 2019. L'éjaculation meurtrière du volcan de White Island, toujours en 2019. Des morts, en nombre et en rafale, si compliqués à gérer en politique. Puis, l'année suivante, l'inverse: sa politique zéro Covid et ses conséquences (notamment économiques) qu'il a fallu assumer. Audace, détermination, courage et leadership.
Quatre qualités qui étaient toujours là, fidèles au poste, jeudi matin, quand il a fallu raccrocher. Des compétences indispensables pour qui brigue le pouvoir, mais surtout pour qui ose le lâcher au bon moment. En quelques minutes rares et admirables, Jacinda Ardern a eu le cran de prouver que la politique n'est pas un métier, mais une mission.
«Vous ne pouvez pas et ne devriez pas faire ce travail à moins d’avoir un réservoir plein», qu'elle s'est permise de préciser. Comme un conseil appuyé, offert à ceux (trop nombreux) qui s'accrochent au pouvoir comme un gamin à sa PlayStation.
Sanna Marin est de cette trempe. Simonetta Sommaruga a eu ce courage-là, il y a quelques mois. En cela, peut-être bien que Jacinda Ardern a fait sa meuf. Qu'ils en prennent tous, rapidement, de la graine.