L’Assemblée générale des Nations unies, c’est comme le Concours Eurovision de la chanson, sauf qu’on y délivre des partitions politiques, le tout en mondiovision. Le but est de se faire entendre en marquant les esprits. L’outrance est un moyen d’y parvenir. La 78e session (19-22 septembre) ne déroge pas à la règle. Mardi, les présidents turc et iranien ont haussé la voix. C’en était presque intimidant. L’objectif recherché. Public pointé du doigt: l’Occident et l’Europe en particulier.
A la tribune de la grande salle du siège new-yorkais de l’ONU, le dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan s’en est pris, sans les citer, à des pays européens où «le racisme, la xénophobie et l’islamophobie» auraient atteint des seuils «intolérables». Il a jugé que «les attaques ignobles en Europe contre le Coran (…) assombrissaient l’avenir» de l’Europe. Il faisait allusion à des autodafés du livre saint des musulmans en Suède et au Danemark.
Le président iranien Ebrahim Raïssi a cherché à impressionner l'assistance en se drapant dans la «vérité divine», qu’il a opposée au «feu de l’irrespect». Il avait avec lui un exemplaire du Coran, qu’il a brandi et embrassé à plusieurs reprises.
La France, qui vient d’interdire l’abaya à l’école, s’est sentie visée.
Rien de neuf sous le soleil de l’islamisme, est-on tenté de dire. Depuis la révolution islamique de 1979 en Iran, ces discours culpabilisateurs destinés à l’Occident n’ont jamais cessé, et l’ONU leur offre une caisse de résonance planétaire. N'y a-t-il que des islamistes pour parler au nom des musulmans?
L'islamisme est un discours politique avant d'être une religion. Il s'inscrit dans un rapport conflictuel, compétitif, concurrentiel, avec l'Occident. Apparu au début du XXe siècle en réponse à la colonisation, mais pas seulement, l'islamisme est une idéologie à la fois victimaire et suprémaciste, qui entend faire valoir le primat de l'islam en tant que civilisation.
Le problème, c’est que ça continue. Le problème, c’est que la menace sous couvert de défense des musulmans ne faiblit pas. Tout l’enjeu pour l’Iran et la Turquie, chacun de ces pays dans son style, religieux pour le premier, civilisationnel pour le second, est d’apparaître comme la seule voix non seulement représentative, mais protectrice des musulmans dans le monde. Comme si ces derniers étaient en danger en Occident, comme s'ils devaient s'estimer opprimés. Ce n’est en rien le cas, si l’on fait abstraction de projets terroristes déjoués de groupuscules d’ultradroite en réponse aux attentats islamistes des années écoulées.
Pas plus que le christianisme ou le judaïsme, l’islam n’est persécuté en Occident. En Europe, les religions ne gouvernent pas. Cela déplaît aux islamistes, pour qui rien ne doit contrarier la «grandeur de l’islam», pour qui rien n’est au-dessus de l’islam, surtout pas la laïcité. On sait que les islamistes ont fait du voile, de la «tenue de la musulmane», disent les fréristes, un instrument de visibilité de l’islam, dans les pays musulmans comme dans ceux qui ne le sont pas. Pour que l’on sache qu’il est là.
Les islamistes ont trouvé un «idiot utile» en la personne du secrétaire général de l’ONU. Livrant un plaidoyer en faveur de l’égalité, Antonio Guterres a comparé implicitement la France aux régimes islamistes:
Insupportable relativisme, la veille du vote au parlement iranien d’une loi durcissant les sanctions contre les femmes ne portant pas le voile obligatoire dans les lieux publics, la peine encourue pouvant atteindre 5 à 10 ans de prison. Rappelons qu’en France, l’interdiction du port de signes religieux ostensibles s’applique à l’école, non à l’espace public, le voile intégral faisant comme en Suisse exception.
A New York, les dirigeants turc et iranien, qatari aussi, mais cela a été moins remarqué, y sont donc allés de leur coup de pression sur les opinions européennes. Au passage, ils se positionnent face à leur grand concurrent sur le marché de l'identitaire musulman, l'Arabie Saoudite, dont le prince héritier Mohamed Ben Salmane, gardien des lieux saints de l'islam en plein rapprochement avec Israël, a entrepris, du moins dans sa communication, de «désalafiser» son pays, plus important foyer de rigorisme sunnite dans le monde.
En Europe, si brûler le Coran en public est un acte offensant et tout à fait déplacé, cela vaut pour tout autodafé, les législations que pourront adopter la Suède et le Danemark pour interdire cette pratique risquent d’entraver une liberté bien plus fondamentale: le refus des religions, leur critique, le droit au blasphème, toutes choses combattues par les islamistes. Les gouvernements de ces pays ont promis que cette liberté ne serait pas remise en cause, mais le doute est permis.
L’enjeu, ce n’est pas seulement la liberté de croire ou de ne pas croire, c’est aussi de pouvoir vivre sans l’omniprésence, sans la pression du religieux, quelque forme qu'il prenne.