International
Commentaire

Elections en Russie: Poutine est mort, vive Poutine

Elections en Russie: Poutine est mort, vive Poutine
Malgré l'empressement avec lequel le monde occidental espère sa chute définitive, Vladimir Poutine sera réélira tout seul, dimanche, à la tête de la République de Russie.Image: Shutterstock
Commentaire

Poutine est mort, vive Poutine

Depuis le 24 février 2022, l'Occident trépigne d'impatience à l'idée que le maître du Kremlin trébuche. Deux ans plus tard, armé de son hochet nucléaire, Vladimir Poutine s'apprête à se réélire, tout seul, président de la République de Russie. Non seulement il n'est pas mort, mais l'existence de ses «adversaires», triés sur le volet, lui permet de justifier sa campagne répressive.
15.03.2024, 16:4716.03.2024, 09:36
Plus de «International»

L'entêtement de Vladimir Poutine à ne pas vouloir perdre la guerre nous est à ce point contrariant que sa chute est devenue une marotte réconfortante. Une petite musique que l'on se chantonne avant d'aller dormir, dans l'espoir que le principal intéressé nous entende enfin, et prenne les dispositions qui s'imposent pour tomber tout seul.

Le 4 novembre 2022, trois petits jours avant une série d'offensives russes musclées, le général français Michel Yakovleff, ancienne huile chaude de l'Otan, avait rêvé plus haut que tout le monde sur le plateau de BFMTV:

«Vladimir Poutine a perdu la guerre en Ukraine, mais il ne le sait pas encore»

Comme dans un western ou un concours de bras de fer, il y a toujours ce moment où l’on est tenté d’inséminer prématurément la défaite dans l’esprit d'un ennemi que l'on espérait un poil moins combatif. A ce petit jeu, Vladimir Poutine est pugnace. Si la géopolitique moderne était un service de soins palliatifs, on dirait qu'il s'accroche, le bougre.

L’empressement avec lequel le monde occidental espérait sa chute définitive se mesurait au degré d’imprécision qui la documente. Si Poutine a bien subi des pertes et de nombreux revers depuis le début de la guerre, une déconvenue militaire n’est pas une défaite et personne n'a jamais hissé le drapeau blanc à la moindre déculottée. Alors, certes, c'est un peu désagréable à entendre, mais Vladimir Poutine n'a toujours pas perdu la guerre.

Et watson n'est pas meilleur que les autres lorsqu'il s'agit de parier sur la date de péremption d'un despote qui menace désormais la planète du bout de son ogive nucléaire.

Article watson du 5 mars 2022:

Image

Article watson du 10 mars 2024:

Image

Ne nous méprenons pas, la Russie a agressé l'Ukraine. Si nous étions dans un bar malfamé, nous dirions que Poutine a sorti les poings en premier. Notre cœur étant logiquement blotti contre celui qui a la mâchoire brisée, nous observons les joutes armées comme si chaque petit soufflet ukrainien, encore aujourd'hui, avait le pouvoir de faire basculer la victoire dans les rues de Kiev et Poutine dans sa propre tombe.

«Une contre-offensive réussie des Ukrainiens est lue comme un pas vers leur victoire; un revers russe est perçu comme le début de la débâcle»
Alain Campiotti, dans une tribune au Temps.

La mort physique, politique, militaire ou idéologique de l'autocrate russe est moins une mission, qu'une éternelle et précoce réalité. Si on a longtemps ricané de quelques ivrognes russes forcés de se dépatouiller avec des fusils rouillés, c'est d'abord parce qu'on a aimé ignorer tous les autres, sobres, formés, armés et prêts à en découdre.

Le 8 février dernier, Vladimir Poutine a fait taire de nombreux fantasmes qui vivotaient dans nos têtes. Comme un pied de nez à l'Occident, il s'est glissé dans les draps du polémiste d'extrême droite Tucker Carlson, en lui offrant un simulacre de grand entretien. Celui que l'on disait aux abois, au pied du mur, malade, mourant ou même déjà mort, a bombé le torse durant une heure.

Idem en septembre 2022, lors d'un discours fêtant officiellement «l’annexion» de quatre nouvelles régions ukrainiennes. Nous étions tous restés plus ou moins bouche bée devant nos téléviseurs, à vaguement pester contre sa folie propagandiste, histoire d'avoir un peu moins peur. L'éditorialiste politique de LCI était allé jusqu'à décongeler notre humilité pour ajuster les pendules.

Devant Tucker, ça nous a fait mal au cul de découvrir un Poutine à la santé physique et politique impérieuse. Nous qui nous persuadions du contraire à grandes gorgées de triomphalisme un peu biaisé. A cause d'un satané empressement, mais aussi d'une propension à analyser le conflit par le prisme d'une empathie naturelle.

Comme une pensée magique:

Se répéter tous les jours que Poutine pourrait être sur le point de perdre la guerre, c'est sous-entendre que l'Ukraine pourrait être sur le point de la gagner.

Plus précis encore, les calculs de Christo Grozev en fin d'année 2022, directeur du groupe d’investigation Bellingcat, prédisaient que «si ça continue, Poutine tombera d’ici un an». Nos désirs présents ne sont encore que d'hypothétiques réalités futures. Si Vladimir Poutine venait à capituler ou crever d'un cancer généralisé dans dix ans, on pourra toujours rappeler haut et fort: «On vous l'avait dit!»

Dimanche, le président de la République de Russie se réélira, tout seul, président de la République de Russie. Bien sûr, ça n'a rien d'une élection présidentielle. Comme le dit joliment The Atlantic, «les mots comptent, alors appelons cela un événement de type électoral». En revanche, la population est bien appelée, intimée, forcée à voter (pour lui). Comme jamais auparavant. Si ses opposants, les vrais, ont été bruyamment évincés, emprisonnés, (suicidés?), Poutine, tel un dictateur à trois quarts, a maintenu un chemin, bien que miné, vers les urnes.

Pourquoi s'épuise-t-il à organiser des élections qui n'en sont pas? Pour les gagner. Si l'on veut montrer à son peuple qu'on a remporté une victoire, il faut que d'autres accusent publiquement une défaite. Bien sûr, les perdants ont été soigneusement sélectionnés par le Kremlin. Mais c'est moins pour brandir l'illusion d'une démocratie, que pour continuer à convaincre les Russes du «mal nécessaire» que représente l'agression de l'Ukraine. Histoire de maintenir, aussi, son ménage répressif et sa grande purge morale.

En d'autres termes, sans opposants visibles, conservés soigneusement dans le formol, sa politique aurait tout pour s'écrouler du jour au lendemain.

«Qu’importe que l’adversaire du moment vise à le détrôner en fomentant une révolution colorée, un putsch militaire ou un soulèvement local. L’important est d’accréditer son existence, car le pouvoir en place est incapable de vivre sans ennemis»
Le politiste Gilles Favarel-Garrigues, dans une analyse pour AOC Media

Bien que l'Occident le veuille désespérément au bout de sa lance, craignant du même coup le déclenchement d'une pluie nucléaire, Vladimir Poutine sait très bien que le véritable danger viendra de l'intérieur. Ce dimanche, le problème ne sera pas tant que l'autocrate s'offre le pouvoir jusqu'en 2030 (ou même 2036), mais que certains de ses «électeurs» se sentent toujours forcés de le croire légitime.

Le jour où les Russes prendront conscience que leurs ennemis n'en sont pas vraiment, Vladimir Poutine mourra. Comme prévu. Comme espéré. Comme anticipé depuis le 24 février 2022. Mais pas avant. Quand on envisage de faire définitivement valser l'ennemi, lui marcher sur le pied en allant plus vite la musique ne suffira jamais.

(Adapté d'un article publié une première fois en 2022.)

L'Ukraine reçoit des chars Abrams et la Russie en détruit un
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
3 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
3
«Il y a un ralentissement»: le ministre russe de l'Economie s'inquiète
Maxime Rechetnikov alerte sur la fragilité de son pays, soulignant l'urgence de décisions politiques pour éviter la récession.

Le ministre russe de l'Economie, Maxime Rechetnikov, a estimé jeudi que le pays était «au bord» de la récession si l'Etat ne prenait pas les bonnes «décisions» dans les prochaines semaines, en plein ralentissement de la croissance après deux années de surchauffe.

L’article