Certains pourraient penser qu'il est absurde que Donald Trump soit actuellement traîné en justice en raison d'une liaison avec une actrice porno, après qu'un grand jury de New York a accepté, ce jeudi, de l'inculper.
Au cours de sa longue carrière de spéculateur immobilier, de propriétaire de casino, d'escroc professionnel, de star de la télévision et d'homme politique, le New-Yorkais de 76 ans a certainement fait pire que de mal comptabiliser le paiement d'un pot-de-vin à une maîtresse.
Dans cette affaire cependant, ses autres méfaits et sa carrière politique ne sont d'aucune importance (sa présidence entre 2017 et 2021 et le fait qu'il souhaite se représenter aux prochaines élections). Et pour cause: un procureur comme Alvin Bragg, responsable de l'arrondissement de Manhattan à New York, peut totalement décider – de manière autonome – de qui il veut cibler et de quand il souhaite le faire. Car l'un des piliers du système juridique américain est le principe selon lequel les autorités d'enquête disposent d'une grande marge de manœuvre.
Les dirigeants américains, même s'ils ont été surnommés «les hommes les plus puissants du monde», ne sont pas automatiquement protégés contre les poursuites. La seule chose que le règlement du ministère de la Justice exclut est qu'un président en exercice puisse être poursuivi en justice.
Ces aspects ne doivent pas être ignorés. En effet, Alvin Bragg est un membre du Parti démocrate et, lors de la campagne électorale de 2021, lorsqu'il s'est présenté au poste de procureur de l'ancien lieu de résidence de Donald Trump, il a également évoqué les nombreuses enquêtes menées contre l'ex-président.
Alvin Bragg a déclaré que dans l'affaire du pot de vin versé à l'ex-star du X, les preuves disponibles – collectées, rappelons-le, par le ministère national de la Justice pendant le mandat du président Trump – étaient plutôt convaincantes. Celui qui deviendrait le procureur de Manhattan a également déclaré:
Que disent donc les faits? En 2006, Donald Trump a eu une liaison avec Stephanie Clifford, qui travaille dans l'industrie du film pornographique sous le nom de Stormy Daniels. Il avait alors 60 ans et venait de devenir père pour la cinquième fois. Stormy Daniels avait 27 ans. Les deux se sont rencontrés en marge d'un tournoi de golf. Donald Trump a invité l'actrice dans sa chambre d'hôtel et lui a promis une apparition dans son émission télévisée à succès The Apprentice. Ils ont eu des relations sexuelles et sont restés en contact par téléphone pendant plusieurs mois, y compris en 2007.
Des actes qui ne sont toutefois pas punissables par la loi. Et l'affaire, que l'ex-président continue de nier avec véhémence, n'aurait jamais éclaté publiquement si le républicain ne s'était pas présenté à la présidence.
Dans la phase finale de la campagne électorale de 2016, alors que Donald Trump était acculé au pied du mur en raison d'anciens commentaires sexistes, Stormy Daniels a menacé de rendre l'histoire publique, ce qui aurait pu porter le coup de grâce politique au candidat à la présidence.
Michael Cohen, l'avocat de confiance du milliardaire, a donc proposé – en accord avec son client – de lui verser 130 000 dollars en contrepartie de son silence.
Donald Trump lui a finalement remboursé l'argent, en plusieurs fois, en le déclarant comme services juridiques. Des chèques correspondants qui ont été rendus publics dans le cadre de la procédure séparée contre Cohen, qui a été reconnu coupable.
Et c'est là que les choses se corsent. Les avocats du candidat à la présidence affirment que ces paiements étaient de nature privée et toutes les infractions liées à cette transaction seraient prescrites.
Le procureur Alvin Bragg affirme en revanche que le virement de 130 000 dollars a permis de contourner les règles complexes de financement des campagnes présidentielles. Et comme le paiement a été sciemment mal comptabilisé dans les livres de comptes de Donald Trump, il s'agirait d'un crime. C'est en tout cas ce que supposent des analystes; l'acte d'accusation à proprement dit n'est pour l'instant pas disponible.
En fin de compte, ce sera au jury de décider, si un procès a lieu. L'ex-occupant de la Maison-Blanche est toutefois passé à la contre-attaque. Il s'insurge contre la prétendue chasse aux sorcières menée par le procureur «raciste». Il accuse également Alvin Bragg de faire partie d'un complot contre lui, le «politicien républicain le plus populaire du pays» selon ses dires. Et d'ajouter:
Une stratégie plutôt habile, du moins pour garder ses partisans de son côté. De plus, chaque gros titre sur Stormy Daniels détourne l'attention des autres problèmes juridiques auxquels le principal candidat républicain à la présidence est confronté. Cependant, il reste tout de même peu probable que ces enquêtes – qui portent par exemple sur la thésaurisation de dossiers gouvernementaux top secrets – ne vont pas disparaître comme par enchantement.
La question suivante peut donc se poser: est-ce idéal que ce soit justement une affaire de bas étage qui permette à Donald Trump, le premier président américain à être formellement mis en accusation, de marquer l'histoire? Probablement pas. Mais cela n'aura bientôt plus d'importance, car Stormy Daniels n'est que la pointe de l'iceberg.
(aargauerzeitung.ch)