Nous sommes le 11 octobre 2020. La campagne présidentielle touche à sa fin, Joe Biden et le président Trump affûtent leurs dernières lames. Totalement dévoué à papa, Donald Jr. déballe alors sa nouvelle stratégie, sous le cagnard de Floride. Un bus, quatre escales et un slogan tendu comme une joue après un uppercut: les «combattants contre le socialisme» s'apprêtent à donner de la voix à Tampa, Orlando, Miami et, enfin, Coconut Creek.
Cette bourgade de 57 000 habitants, non contente d’abriter le plus grand parc à papillons du monde, planque aussi le plus prestigieux centre d'entraînement de MMA des Etats-Unis. Jorge «Gamebred» Masvidal et bien d'autres champions casseront leurs premières gueules dans l'imposant hangar de l'American Top Team.
Ce 11 octobre est particulier pour le candidat à sa réélection: des mamies ont enfilé leur t-shirt «Never Socialism» et une grosse poignée de combattants de la ligue Ultimate Fighting Championship (UFC) ont été dépêchés pour chanter ses louanges. A Coconut Creek, on retrouve ainsi Masvidal, emballé dans un survêtement Adidas noir et doré, qui a été choisi et briefé pour narrer les «dangers du communisme». Avant d'embrasser le programme de Donald Trump à pleine bouche, sur une petite estrade bricolée pour l'occasion.
Face à lui, quelques têtes de pipes acquises à la cause. Mais une fois sur Internet, des millions d'amateurs de ce sport de bonhommes avaleront ses psaumes cul sec.
Trois ans plus tard, au micro d'un podcast produit par l'UFC, le milliardaire républicain lui renverra l'ascenseur, considérant que la bruyante allégeance de son «ami Jorge», le «meilleur combattant du monde», avait permis son «succès phénoménal en Floride» et notamment au sein de la «population hispanique».
Bien sûr, l'amour entre Donald Trump et les bagarreurs en cuissettes ne datent pas d'hier. Ou plutôt de samedi, lorsque sa présence autour de la cage de Miami a failli éclipser la branlée que s'est prise Benoît Saint Denis. Couché au deuxième round par un Dustin Poirier au sommet de sa rage, le combattant français a donc perdu par KO, manifestement «sous antibiotiques», mais aussi sous les yeux d'un 45ᵉ président dont il louait les qualités, il y a tout juste huit mois.
A l'époque, après avoir réglé son compte à Matt Frevola au Madison Square Garden, cet ancien des Forces Spéciales voulait rappeler ce qui fait la force de Trump.
🇺🇸 "Le Président Trump est facile à comprendre et je le respecte pour ça"
— RMC Sport Combat (@RMCSportCombat) November 12, 2023
🇫🇷 "J'espère que le Président Macron sera présent au prochain combat à Paris"
👉 L'ancien membre des Forces Spéciales de l'armée française Benoit Saint Denis s'est exprimé sur les différences dans le… pic.twitter.com/W0lzCzl5KG
Ne tirons pas de conclusion inutile: Benoît Saint Denis n'est pas trumpiste. Mais c'est un patriote qui termine toutes ses publications Facebook par un très solennel «vive la France». Un catholique pratiquant qui avale une hostie après avoir multiplié les pains. Doublement tatoué d'une Jeanne d'Arc sur l'omoplate droite et d'une croix des Templiers sur le pectoral gauche, il a tout du «petit gars» que Trump fait mine de prendre sous son aile. Conservateurs par dépit, sanguins par instinct de survie, ces «petits gars» zigzaguent dans l'existence, boudent les bancs d'école et ne connaissent rien à la politique.
En d'autres termes, la cible préférée du milliardaire républicain. S'il ne rate aucun combat depuis plusieurs mois, c'est pour mieux faire ses emplettes en vue des prochaines élections. Comme en octobre 2020 sur un vulgaire parking de Coconut Creek, il sait depuis longtemps que les cages d'UFC aimantent les électeurs potentiels, qui pensent America First comme d'autres écrivent «vive la France», mais envoient bouler des urnes trop hypocrites à leur goût.
Alors quand deux violences s'entrechoquent, les étincelles forment un coup de foudre.
Pour remplir son caddie, le 45ᵉ président des Etats-Unis peut compter sur un rabatteur aussi nerveux et fidèle que Jorge Masvidal: Dana White. Le puissant président de l'UFC est aussi le plus endurant propagandiste du mouvement MAGA. Ici aussi, flotte comme un renvoi d'ascenseur digne des plus grandes mafias: il y a vingt ans, Donald Trump permettait (indirectement) à ce fight club ostracisé, dénudé de la moindre règle, simplement brutal et largement interdit, de se propager sur tout le territoire américain.
Ne dit-on pas à charge de revanche?
Accueil de Donald Trump à l'UFC ( ultimate fighting championship)
— Mireille Webber (@MireilleWebber) March 10, 2024
Ce n'est pas le même que celui de macron au stade de France 😂 pic.twitter.com/NcUpvO2140
En 2001, l'excentrique promoteur immobilier et animateur de télé-réalité est à la recherche d'un nouveau défouloir. Un truc susceptible à la fois de l'enrichir et de le divertir. Au même moment, Dana White se retrouve propulsé à la tête de la ligue UFC, fraîchement rachetée par les très riches frères Fertitta. Une rencontre plus tard, Trump organisera deux combats d'UFC dans son complexe hôtelier d'Atlantic City.
Un KO financier, mais un immense coup de pouce marketing à Dana White et une romance immédiate. Car Trump tombera amoureux d'un sport qu'il juge «terriblement violent», «courageux», «réservé aux vrais gladiateurs». Sept ans plus tard, en se liant d'amitié avec Fedor Emelianenko, un combattant russe gaulé comme un radiateur et proche de Vladimir Poutine, il dénichera une formule à son image:
Dans la foulée des deux raouts organisés par Trump, la ligue se dégotte un diffuseur télé, invente quelques règles pour ne pas froisser l'Américain moyen et décapsule sa longue success-story. Au point que Dana White, séduit par le conservatisme explosif de son nouveau mentor, se sentait redevable. En 2016, sapé pour l'occasion, le patron de l'UFC rejoindra Donald sur la scène de la Convention nationale des républicains, avec une métaphore à faire frémir de fierté le futur président des Etats-Unis.
Cette propagande orchestrée à haute voix et visage découvert fera péter des digues idéologiques dans l'esprit de nombreux combattants de l'UFC. Avec un président de ligue ouvertement pro-Trump, plus personne ne risque de sanction professionnelle en crachant son amour pour le locataire de la Maison-Blanche.
A mesure que l'UFC prenait du muscle, les octogones se transformaient peu à peu en antichambre de l'extrême droite et du complotisme made in America. Un hurluberlu baraqué, plus ou moins homophobe et plus ou moins raciste, va d'ailleurs très vite incarner ce gang-bang décomplexé:
Le Californien, âgé de 36 ans, cumule 17 sacres en 21 combats et se considère comme une «grande machine à gagner américaine, accro à la victoire, tout comme Trump». En août 2018, celui qui ne s'affiche plus sans sa visière écarlate Make America Great Again a eu l'honneur de la Maison-Blanche. Une rencontre d'une bonne heure organisée par, Ô surprise, un certain Dana White. En sortant du Bureau ovale, Colby n'était plus le même combattant. Galvanisé par les caresses intéressées du président des Etats-Unis, il est littéralement entré dans ses ordres.
Aujourd'hui, ils sont des dizaines à propager les idées fascistes de Donald Trump, dès qu'ils en ont l'occasion. Portés par la propagande et la désinformation en flux tendu du président de l'UFC, ces combattants sont devenus des soldats au service d'un programme politique. Une armée certes manipulée par le candidat républicain, mais d'une brutale loyauté.
Si bien que l'UFC, ce défouloir pour les jeunes qui se sentent parfois exclus des sports considérés comme plus «convenables et populaires», est aujourd'hui la ligue la plus politisée et la plus à l'extrême droite du pays. Une large caisse de résonance que le gourou se doit donc d'abreuver constamment, en s'affichant au bord des cages, s'il veut pouvoir en profiter le 5 novembre prochain. D’autant qu’il arrive que l’ancien président se fasse huer, pour peu que le public ne soit pas le bon.
Une réponse virile, aussi, à la «mainmise wokiste» des démocrates sur un football américain qui n'en a que pour Travis Kelce et sa petite amie politiquement influente.