Tout est parti d'une petite humeur publiée lundi par Maggie Haberman, chroniqueuse judiciaire pour le New York Times:
Une information confirmée dans la foulée par la rare poignée de correspondants présents dans cette salle d'audience de New York, où le célèbre accusé fait face à 34 chefs d'accusation pour «falsification de dossiers commerciaux au premier degré». Cet épisode a vite suscité un emballement général. Il faut avouer que Donald Trump piquant un petit roupillon durant son propre procès, c'est croquignolet. Lui qui n'arrête pas de surnommer son adversaire «Sleepy Joe», ça la fout un peu mal.
Mais pour être en mesure de profiter pleinement de cette anecdote, il faut non seulement croire Maggie Haberman sur parole, mais freiner notre imagination galopante. Pourquoi? Parce que les caméras n'ont pas été conviées à la fête, étant donné que c'est une affaire fédérale. Et que le seul écran disponible a été placé dans une pièce attenante, pour la nuée de journalistes moins bien lotis que d'autres.
Même si les dessinateurs judiciaires s’en sont également donnés à coeur joie, c'est, là encore, un filtre bien trop indirecte pour permettre aux citoyens de constater par eux-mêmes la qualité de la sieste du 45e président.
C'est évidemment tout bénéf' pour le candidat républicain, très à l'aise lorsqu'il s'agit de démentir une information d'une presse mainstream qu'il déteste.
Choisissez votre camp! Car l'autre talent de Donald Trump, c'est l'aisance avec laquelle il narre et propage des histoires alternatives. Et l'absence de caméras lui permet déjà de raconter littéralement n'importe quoi. Lundi après-midi, dans un email adressé à sa base, l'accusé a hurlé en lettres capitales qu'il vient «DE SORTIR EN TROMBE DU TRIBUNAL KANGOUROU DE BIDEN!».
Bien sûr, c'est faux. Non seulement Trump est resté jusqu'à la fin de journée, mais il a gratifié les médias d'une petite déclaration. Mais peu importe. Cette réalité alternative est un monde dans lequel ses partisans nagent depuis bien trop d'années pour être affaiblie par quelques journalistes présents dans une salle d'audience. Pour les trumpistes, le gourou est «sorti en trombe» et le New York Times a menti sur la petite sieste judiciaire de leur patron. Point final.
Pour Trump, l’idée que l’on puisse croire qu’il s'est réellement assoupi n’est pas très gratifiante, puisque tout son argumentaire ne repose que sur des épisodes survoltés, dans lesquels il campe un héros dynamique et indomptable. Hélas, toujours selon les chroniqueurs sur place, ce procès n’aurait rien à envier à tous les autres: c’est chiant.
Si les démocrates militent pour autoriser les caméras dans toutes les salles d'audience, la justice a peur de recréer des monstres médiatiques, comme le spectacle judiciaire le plus controversé de l'histoire des Etats-Unis, en 1995, avec le procès d'O.J. Simpson.
Pour rappel, un seul procès contre Trump devrait se retrouver en live sur YouTube: celui de Géorgie. Mais son jugement pour «entreprise criminelle» visant à annuler l'élection présidentielle de 2020 risque bien de ne pas avoir lieu avant le 5 novembre. En d'autres termes, les citoyens américains ne verront sans doute jamais de leurs propres yeux comment le milliardaire s'en tire devant le juge.
Maggie Haberman du New York Times et ses rares confrères sur le terrain ont donc une immense et irréaliste responsabilité: incarner les yeux et les oreilles d'un peuple américain qui doit voter dans six mois et qui n'est plus en mesure de croire qui que ce soit sur parole. Et surtout pas les journalistes.