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La diffusion en direct du procès de Trump est déjà un scandale

Le monde entier pourra suivre le procès du siècle en Géorgie, devant sa télévision et sur YouTube.
Le monde entier pourra suivre le procès du siècle en Géorgie, devant sa télévision et sur YouTube.image: getty, canva, montage: watson
Analyse

Le procès Trump sera diffusé en live et c'est déjà le scandale du siècle

Cette fois c'est confirmé: toute la planète pourra suivre la potentielle condamnation de Donald Trump, en direct, sur YouTube. En Géorgie, son procès sera filmé. Sortez les popcorns (et potentiellement les flingues).
01.09.2023, 18:49
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Le 3 octobre 1995, 150 millions de téléspectateurs assistent, en direct, à l'acquittement d'O.J. Simpson. A l'extérieur du tribunal du comté de Los Angeles, une foule dense exulte dans une atmosphère digne du Super Bowl: pour les douze jurés les plus scrutés de l'année, l'ancien running back des Bills de Buffalo n'a pas assassiné sa femme et son amant. Clap de fin d'un procès qui aura duré neuf mois, le temps d'accoucher du spectacle judiciaire le plus controversé de l'histoire des Etats-Unis.

A TV screen showing the televised trial of O.J. Simpson for murder, September 1995. (Photo by Barbara Alper/Getty Images)
Image: Archive Photos

Netflix avant l'heure. The Truman Show de l'horreur. Pour la centaine de millions de foyers américains, scotchés devant leur reality-show, c'est alors l'heure du sevrage. Pas simple de prendre congé du personnage principal d'une série qui a nourri les rôtis en famille et les après-midis oisifs. Dans les bars, les fast-foods et les open-spaces, les écrans de télévisions n'en avaient que pour le procès du siècle.

Autre siècle, autre affaire, autre personnage. Vendredi, un juge de la Cour supérieure du comté de Fulton a autorisé la diffusion en direct du futur procès de Donald J. Trump à Atlanta. Non seulement le tribunal jouera le rôle de producteur, mais tout sera déballé gratuitement sur YouTube. La première audience n'est pas encore fixée, mais les nuits européennes s'annoncent déjà courtes, commentées, disputées et palpitantes. On rappelle qu'en Géorgie, le candidat et ses dix-huit co-accusés seront jugés pour «entreprise criminelle» visant à annuler sa défaite à l'élection présidentielle de 2020.

Et si les caméras pourront se faufiler dans la salle d’audience du comté de Fulton, c'est bien parce que l'inculpation n'est pas fédérale. Pour l'affaire de Washington ou de Miami, même si de nombreux parlementaires démocrates «l'exigent», il y a aujourd'hui peu de chances que les citoyens américains bouffent du Trump devant leur poste de télévision.

«Nous sommes à l’ère du numérique, où les gens pensent avec leurs yeux»
Neal Katyal, dans le Washington Post.

Pour ce professeur de droit à l'université de Georgetown, «interdire les caméras dans les tribunaux fédéraux, c'est obsolète». Hélas, c'est aussi prendre le risque de hisser de graves accusations au niveau d’un spectaculaire divertissement. En 1995 et face à O.J. Simpson, le juge, mais aussi les avocats des deux parties en ont beaucoup joué. Si personne ne peut ignorer le fait qu'il est regardé par la terre entière, les conséquences d'une grappe de caméras dans un procès d'une telle importance sont nombreuses et potentiellement catastrophiques.

John Lauro, l'avocat de Trump dans l'affaire de l'assaut du Capitole (qui sera jugée dès le mois de mars prochain), se bat pour que l’audience soit télévisée. Il sait pertinemment que son poulain se sent comme un coq en pâte dès qu'il est regardé, filmé, mis en scène. Sûr de son coup, il veut montrer qu'un format Hollywood serait à leur avantage au tribunal fédéral de Washington.

«Je suis convaincu que l'administration Biden ne veut pas que le peuple américain voie la vérité en direct»
John Lauro, l'un des avocats de Trump

De son côté, Nick Akerman, ancien procureur spécial adjoint à l'époque du Watergate, est farouchement contre l’idée de placarder l'accusé Trump sur tous les écrans du monde. Notamment parce qu'il est «difficile, voire impossible, de persuader quiconque de témoigner, craignant des représailles physiques».

A ce propos, lorsque le juge Kaplan a refusé la présence des caméras durant le procès civil pour viol, intenté par E. Jean Carroll, c'est précisément à cause «de la forte probabilité que les jurés fassent l’objet d’une attention médiatique non désirée, de tentatives de harcèlement et d'intimidation des partisans de Trump».

Vous vous en doutez, le débat est explosif. Sans la moindre diffusion en direct, qui plus est en pleine campagne présidentielle, les deux camps vont bien sûr s'emparer du procès, interpréter les faits, influencer l'opinion publique et tenter d'enterrer l'ennemi vivant. Ils le font déjà. Ceux qui militent pour la diffusion en direct des audiences invoquent en priorité l'impossible «impartialité des médias» et la transparence du système judiciaire.

En d'autres termes, il suffirait de tout balancer sur YouTube, sans filtre ni distance, pour que l'esprit critique se mette soudain en branle au sein de la population.

«Sans les caméras, il y aura deux procès: celui suivi par les médias progressistes et l’autre chroniqué par la presse conservatrice»
Alan Dershowitz, expert américain en droit constitutionnel, au média The Hill

Or, encore aujourd'hui, la diffusion d'un simple match de football est impensable sans la présence d'un commentateur. Les téléspectateurs en ont besoin pour confirmer leur analyse ou s'acharner sur celle du journaliste. Souvenez-vous, quand Federer brillait en finale de Roland-Garros, beaucoup restaient fidèles à la RTS, quand d'autres zappaient sur les chaînes françaises, histoire d'éviter les postillons partisans.

En politique, il suffit de jeter un oeil au compteur des provocateurs américains les plus populaires pour réaliser que la majorité des internautes ont déjà leurs propres réflexes, bien calés contre leurs convictions. Et à ce petit jeu, les influenceurs de droite ou d'extrême droite ont plusieurs longueurs d'avance sur tout le monde: du dangereux Alex Jones, au plus modéré Tim Pool, jusqu'à la star Tucker Carlson, aujourd'hui privé de Fox News, mais couronné roi des réseaux sociaux.

L'exemple Depp-Heard

Les réseaux sociaux, parlons-en. Depuis le cirque médiatique qui a littéralement perverti le duel judiciaire opposant Johnny Depp à Amber Heard, les caméras ne sont au final qu'une arme sournoise pour déclencher une guerre sanglante en ligne. «Un procès en diffamation, diffusé en direct, qui déclencha d’avril à juin 2022 une folie publique et numérique d’une intensité inédite aux Etats-Unis», considérait le journaliste de France Inter Nicolas Demorand, après avoir jeté un oeil au récent documentaire diffusé sur Netflix.

«Un film d'horreur sur l'époque»
Nicolas Demorand

Souvenez-vous, dès le début, internet semblait avoir furieusement choisi son camp et il fallait se lever tôt pour dégoter un commentaire en faveur de l'actrice. A grandes salves de fake-news, de détournements assassins et de harcèlement sans répit, les partisans de Depp s'étaient littéralement défoulés sur la personnalité d'Amber Heard, lui donnant l'air d'une femme dangereuse et folle à lier. Comme l'analysait notre éminent collègue Sven Papaux, dans ce «premier procès à la sauce TikTok, le tribunal des réseaux sociaux a grondé et bavé son incompétence».

Et personne n'en sortira véritablement grandi.

Donald Trump, lui, a déjà gagné la guerre des réseaux sociaux. Une fois penchés sur leur clavier, ses apôtres les plus endoctrinés déploient un savoir-faire d'une efficacité sournoise et inégalée. La sortie du mugshot judiciaire du messie n'en est que le dernier exemple récent.

Si le candidat finit menotté sous les pupilles du monde, personne ne peut jurer que le pays ne s'embrasera pas.

L'aspect désormais historique du quotidien de l'ex-président des Etats-Unis confère à son armée une impunité qu'il sera difficile à affaiblir, une fois Trump cerné par ses avocats, sur le banc des accusés et face à une audience qu'Hollywood jalousera la queue entre les jambes. Pour le clan démocrate et les républicains anti-Maga, un procès diffusé sur Youtube représente le dernier espoir de voir ses électeurs se libérer de son emprise.

Et puis, qu'importe les conséquences potentiellement néfastes d'une retransmission du procès de Géorgie, il sera difficile de ne pas trépigner à l'idée de se brancher sur ce qui sera sans doute la télé-réalité la plus scandaleuse du siècle.

L'assaut du Capitole en images
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L'assaut du Capitole en images
Des manifestants pro-Trump occupent les terrains de la partie ouest du Capitole.
source: epa / michael reynolds
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Cet imitateur est venu troller Donald Trump
Video: watson
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