Le 6 janvier 2021, la démocratie américaine a frôlé de peu un renversement violent. Des partisans radicaux de Donald Trump - certains violents et armés - ont pris d'assaut le Capitole. Ils voulaient empêcher les deux chambres du Congrès, qui y étaient réunies, de confirmer formellement la victoire de Joe Biden à l'élection présidentielle de 2020. Pour des raisons de sécurité, les membres du Congrès ont dû se retrancher dans leurs bureaux ou dans des locaux au sous-sol. Quatre manifestants et un policier sont morts des suites directes ou indirectes des événements.
Le Congrès n'a pu reprendre sa session que tard dans la soirée, après que les forces de sécurité eurent repris le contrôle du Capitole. Même après les scènes bouleversantes de la journée, 8 sénateurs et 139 députés républicains ont voté contre la reconnaissance de la victoire électorale de Biden dans les Etats de l'Arizona et de la Pennsylvanie. Il s'agit des soutiens radicaux de Donald Trump au sein du parti républicain. La grande majorité d'entre eux refusent encore aujourd'hui de reconnaître publiquement la légitimité de la victoire de Joe Biden.
Une enquête de CH Media montre que de grandes entreprises suisses, ou leurs filiales américaines, ont continué à soutenir un grand nombre de ces partisans radicaux de Trump après le 6 janvier 2021 en leur versant des dizaines de milliers de dollars. Au total, il s'agit d'une somme de plus de 300 000 dollars. Sont concernés la banque UBS, les géants pharmaceutiques Novartis et Roche, la compagnie d'assurance Zurich ainsi que le groupe agricole Syngenta.
Les dons transitent par ce que l'on appelle les «Political Action Committees», ou PAC. Environ 4600 de ces PAC sont enregistrés aux Etats-Unis. Il s'agit de systèmes de donation autorisés par la loi, par lesquels des entreprises, mais aussi des syndicats, des ONG ou des groupes d'intérêts regroupent leurs forces financières pour soutenir certains hommes et femmes politiques dans la campagne électorale américaine.
CH Media a identifié dans la base de données de la commission électorale fédérale américaine (FEC), les PAC qui, selon le formulaire d'autodéclaration prescrit par la loi, sont liés à l'une des 25 entreprises suisses les plus importantes en termes de chiffre d'affaires – ou à leur filiale américaine.
Dans un deuxième temps, l'activité de donation des PAC en question a été examinée plus en détail à l'aide de la base de données des dons de l'ONG non partisane OpenSecrets. Cette ONG s'engage pour la transparence du financement de la politique. Il a ainsi été possible d'identifier tous les dons de campagne du PAC faits par des entreprises suisses aux membres du Congrès qui ont voté contre la reconnaissance de la victoire de Joe Biden.
Le leader de cette statistique est UBS, dont le PAC a fait don d'un total de 165 000 dollars aux membres du Congrès concernés. Sur cette somme, 10 000 dollars ont été versés à Kevin McCarthy, le républicain le plus haut placé à la Chambre des représentants. En deuxième position, on trouve Roche, dont le PAC ainsi que celui de sa filiale Genentech ont fait don de 55 000 dollars au total aux hommes et femmes politiques cités plus haut. Le géant de l'agriculture Syngenta arrive en troisième position avec 47 500 dollars. D'autres grandes entreprises suisses ont également un PAC aux Etats-Unis. Mais certaines d'entre elles n'ont pas encore fait de dons dans le cycle électoral actuel (comme Credit Suisse et Swiss Re), ou n'ont pas soutenu de députés qui n'ont pas voulu reconnaître la victoire de Joe Biden (Holcim et Nestlé).
Interrogées, les entreprises ne veulent pas répondre aux questions. L'UBS souligne qu'en tant qu'entreprise, elle ne soutient pas directement les politiciens. Le PAC regroupe et distribue apparemment les dons des collaborateurs américains aux membres du Congrès des deux partis américains qui s'engagent pour un «secteur des services financiers compétitif et dynamique». Le PAC vérifierait régulièrement les critères pour les contributions financières et s'assurerait que les déclarations et les activités des bénéficiaires des dons correspondent aux normes de comportement.
Après avoir été interrogée, une porte-parole de Roche écrit:
L'entreprise évalue en permanence ses décisions en matière de dons. Les actions, les déclarations, les prises de position et les votes des hommes et des femmes politiques sont pris en compte dans le cadre de la «mission, des principes et des valeurs de l'entreprise».
Même discours chez Novartis. Un porte-parole déclare:
Novartis soutient le processus démocratique et le transfert pacifique du pouvoir, et condamne les violences du 6 janvier 2021. En réaction, le PAC a temporairement suspendu ses activités de donation et mis à jour ses critères de soutien aux candidats.
Chez Syngenta aussi, la tempête au Capitole a donné lieu à des discussions. En janvier 2021, le conseil d'administration du PAC s'est réuni et a discuté de la question des dons futurs aux membres du Congrès qui ont voté contre la validation des résultats des élections. Le conseil d'administration a décidé:
Ceux-ci incluent notamment la conformité aux intérêts commerciaux de Syngenta ou la participation à des comités importants pour les activités de l'entreprise.
Selon le professeur Marco Steenbergen de l'université de Zurich, le principal objectif des entreprises étrangères qui gèrent un PAC aux Etats-Unis est généralement d'obtenir un accès.
Selon le professeur, le soutien à ces députés «n'a rien d'inhabituel dans le financement des campagnes électorales américaines». Les entreprises feraient en même temps des dons aux démocrates, car elles cherchent à avoir accès aux deux camps. Marco Steenbergen doute que les dons aux partisans de la fraude électorale de Trump représentent un risque de réputation pour les entreprises concernées. Le grand public n'est souvent pas au courant de ces dons. Et même s'il l'est:
De plus, un coup d'œil aux députés qui ont reçu le plus d'argent illustre clairement les motivations sous-jacentes: avec les députés Kevin McCarthy, Steve Scalise et Elise Stefanik, on retrouve les trois membres républicains les plus haut placés de la Chambre des représentants.
Si les républicains remportent la majorité à la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat en novembre de cette année, Kevin McCarthy remplacerait la démocrate Nancy Pelosi pour la place de «Speaker of the House» en janvier 2023. Celui qui occupe cette fonction influente peut fixer l'agenda de la Chambre des représentants, programmer des votes et attribuer des postes importants. Le professeur ajoute que les autres députés en haut de la liste des bénéficiaires siègent dans des comités qui sont «très intéressants» pour les entreprises et leurs activités commerciales. (aargauerzeitung.ch)
Traduit de l'allemand par Léon Dietrich