«Cette victoire de Javier Milei a permis sa survie politique»
Le sulfureux président argentin Javier Milei n'a pas terminé son ascension. Deux ans après être arrivé au pouvoir, il renforce considérablement son assise: son parti, La libertad avanza, (La liberté avance) est sorti premier des élections législatives de dimanche, avec 41% des voix.
C'est un triomphe populaire sous forme de revanche pour Milei, vivement critiqué par les milieux sociaux-démocrates pour ses coupes massives dans l'Etat et le social. Alors, la tronçonneuse, ça fonctionne? Nous avons posé la question à Nicolas Depetris Chauvin, professeur d'économie à la Haute école de gestion (HEG) de Genève. Cet Argentin fut même camarade de classe de Master en économie de Javier Milei, sur les bancs de l'université privée de Torcuato Di Tella, à Buenos Aires.
Comment analyser cette victoire de La libertad avanza?
C'était clairement une surprise, même les élus du parti ne devaient pas s'attendre à ça. Lors des élections municipales de Buenos Aires, qui ont eu lieu il y a quelques mois, les résultats de vote pour La libertad avanza étaient d'environ 30%. Le taux de participation de 68% est considéré comme faible en Argentine, où le vote est censé être obligatoire. Il se trouve d'habitude entre 75 et 80%.
L'opposition n'a-t-elle pas réussi à surfer sur un sentiment anti-Milei?
Pas vraiment, car c'est justement cette ancienne caste politique dont le peuple ne voulait plus en élisant Javier Milei, en novembre 2023. La leader de l'opposition de centre-gauche, Cristina Kirchner — présidente de l'Argentine entre 2007 et 2015 — est toutefois deuxième avec 32% des votes. Mais beaucoup de gens ne voulaient pas son retour et Milei a polarisé la campagne en disant «C'est nous ou le kirchnerisme». Il n'y avait donc pas beaucoup d'alternative institutionnelle, à l'exception de quelques partis régionalistes. Même des bastions péronistes — dont découle le kirchnerisme — comme Buenos Aires ont vu le parti de Milei arriver en premier, même si c'était d'une courte tête.
Avec ces 41% de vote, le peuple a-t-il validé la méthode économique radicale de Javier Milei?
Cela permet à Milei de continuer ses réformes avec les coudées franches, durant les deux dernières années de son mandat. Il était bloqué politiquement depuis plus d'une année. Les six premiers mois après son élection, l'économie du pays allait vraiment très mal, et l'opposition ne lui a pas fait beaucoup de résistance. Mais ensuite, dès que les choses allaient un peu mieux, elle a commencé à bloquer toutes ses réformes. Avec 37 élus sur 257, son parti ne pouvait pas faire grand-chose, malgré quelques alliés au centre-droit. Maintenant, avec 101 membres de la Chambre basse, il peut passer des décrets administratifs sans être bloqué par le pouvoir législatif.
Et s'il avait échoué à faire grossir ses rangs?
La situation aurait été beaucoup plus fragile pour lui. Il aurait même pu tomber. En Argentine, il y a beaucoup de gouvernements qui ne terminent pas leur mandat.
Donald Trump a promis une aide importante si Milei était élu. C'est un genre d'ingérence?
Il l'a annoncé comme un «swap», un échange de devises. La Banque centrale américaine a prévu d'acheter pour 20 milliards de dollars de pesos — mais uniquement en cas de victoire de Milei. La population a pu voter en fonction de cette promesse. Du côté de Trump, tout cela n'est pas innocent: il y a de belles opportunités d'investissement, notamment dans les matières premières — gaz, pétrole, lithium, or, etc. Mais pour investir, il faut des liquidités et une économie trop volatile rend les échanges compliqués. De plus, l'Argentine n'a pas accès au marché international à cause de sa dette qu'elle n'a pas pu régler.
Depuis deux ans, on a une grande baisse de l'inflation, des excédents publics enfin positifs, mais aussi une hausse de la pauvreté. Alors, la méthode Milei, ça fonctionne?
Il faut voir les chiffres. Le taux de pauvreté est plutôt descendu: il était d'environ 50% durant le Covid, et désormais à 30%. Mais les chômeurs sont passés de 5 à 8%. On a donc un peu plus de pauvres, mais globalement moins de pauvreté, notamment grâce au renforcement du peso et du pouvoir d'achat. L'inflation, due à l'utilisation incessante de la planche à billets, était d'environ 15% par mois avant l'élection de Javier Milei, c'est-à-dire hors de contrôle. Elle se situe désormais à 2%.
A côté de ça, les prix des services subventionnés par l'Etat étaient ridiculement bas et déconnectés de la réalité. On pouvait payer 5 centimes pour prendre le métro ou 3 francs par mois d'électricité. Cela concernait aussi l'eau, le téléphone, le gaz.
Le pays était longtemps en récession. La croissance est-elle revenue?
Non, mais la récession est terminée elle aussi. Le taux de croissance est revenu à 0%, mais peine à remonter en positif. Javier Milei a déjà promis l'année dernière que cette année serait celle du décollage, qui n'est pas arrivé.
Quels sont les revers de la médaille?
A mon avis, elles sont plutôt à voir du côté des dépenses en capital, c'est-à-dire des infrastructures. Javier Milei a mis fin à tous les projets de rénovation ou de construction des infrastructures: ponts, routes, etc. C'est malin, car cela permet de couper dans des dépenses sans que personne n'en souffre aujourd'hui.
