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Elizabeth II

Elizabeth II: Le film interdit qui a embarrassé la reine

La reine, le prince Philip et deux de leurs fistons dans le château de Balmoral, en Ecosse.
La reine, le prince Philip et deux de leurs fistons dans le château de Balmoral, en Ecosse.image: keystone
Elizabeth II

†La Reine 3/5†: Le film interdit qui a embarrassé la reine et sa famille

Dans ce troisième épisode de notre série consacré à la reine Elizabeth II, retour sur un show de télé-réalité familiale. Bien avant les Kardashian, Sa Majesté fait entrer une équipe de télévision dans l'intimité des Windsor. A la clé: Royal family... un documentaire très vite interdit par Buckingham.
10.09.2022, 16:34
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Un vent de modernité et de liberté souffle sur l'Angleterre des années 60. Les mœurs et les cœurs s'allègent, les jupes raccourcissent, les lois évoluent, la musique s'encanaille. Au milieu de ces courants novateurs, la monarchie fait figure de bijou de famille, démodé et poussiéreux. Le respect révérencieux du peuple pour cette figure britannique historique, qui peine à évoluer avec son temps, s'étiole.

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Après une première décennie de règne où elle a incarné une reine de conte de fées en plus glamour, Elizabeth II, âgée d'une quarantaine d'années, est la première à faire les frais de ce désenchantement. Elle apparaît austère, ternie - et surtout, coupée de la réalité de son peuple. La tragédie du village gallois d’Aberfan, en octobre 1966, a achevé de conférer cette mauvaise impression aux Britanniques. La réaction tardive de la souveraine à la mort des 116 enfants et 28 adultes ensevelis sous les décombres d’une mine de charbon a heurté son peuple.

La reine le jour de son 43e anniversaire, le 21 avril 1969.
La reine le jour de son 43e anniversaire, le 21 avril 1969.image: keystone

Alors, pour redorer son blason, Elizabeth II accepte l'impensable: être suivie dans son intimité par une équipe de télévision de neuf personnes, en dehors de tout protocole et de tout l’apparat habituel, pendant une année. L'idée lui a été soufflée par l'oncle «Dickie» - à savoir le comte Louis Mountbatten, l'oncle de son mari Philip. L'occasion semble idéale pour montrer la Couronne sous un jour nouveau et raviver l'intérêt du public.

Elizabeth II et son fils Charles, le 15 mai 1969
Elizabeth II et son fils Charles, le 15 mai 1969 image: keystone

On envisage d'abord un documentaire sur Charles, le fils aîné, qui s'apprête à être intronisé prince de Galles. D'un gamin timide et introverti, marqué par des années d'internat où il a été éduqué «à la dure», le jeune homme de 21 ans est revenu mûri et apaisé de ses séjours en Australie et Nouvelle-Guinée.

Finalement, le réalisateur, Richard Cawston, préfère se lancer sur les traces de la famille Windsor au grand complet, comme il l'explique en 1971:

«Il fut décidé que ce ne serait pas un film sur le prince Charles, mais plutôt sur la tâche qui l’attendait et le seul moyen d’en dévoiler l’ampleur, c'était de montrer la nature même du travail effectué par la reine.»

«Cette saleté gluante va souiller la voiture»

Alors, que découvre-t-on de croustillant sur ces 43 heures de pellicules en Technicolor (dont le coût s'est élevé à pas moins de trois millions d’euros actuels en frais de production)?

Le film s'ouvre sur le prince Charles, torse nu, en train de faire du ski nautique.

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capture d'écran: youtube

S'ensuivent des bribes de la vie de la famille royale, en voyage officiel, à l'opéra ou à la campagne; la souveraine qui offre une glace à son fils Edward, en gloussant: «Cette saleté gluante va souiller la voiture!» Ou encore, une scène de pique-nique à la résidence royale de Balmoral, en Ecosse, durant laquelle Philip et sa fille Anne font griller des steaks sur un barbecue, tandis que Charles explique à son petit frère comment réussir une sauce salade à la crème fraîche.

Cawston est autorisé à filmer tout ce qu'il souhaite, comme il en témoigne plus tard:

«Je n'ai jamais demandé de choses que je pensais être de mauvais goût. Il n'a donc jamais été question de demander quelque chose qui aurait dû être refusé.»

Cependant, chaque scène filmée fait l'objet d'un examen minutieux de la part d'un comité consultatif, présidé par le mari de la reine en personne.

Un résultat moyennement convaincant

La version finale, Royal family, est diffusée sur la BBC le 21 juin 1969, dix jours avant l'intronisation du prince Charles. Le documentaire est programmé quatre fois en six mois, y compris le jour de Noël, à la place des traditionnels vœux de la reine. Au total, 70% de la population le visionne sur petit écran.

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capture d'écran: youtube

Si elle constitue un véritable succès en termes d'audience (40 millions de téléspectateurs au Royaume-Uni), l'émission l'est moins en termes de retombées dans l'opinion publique. Mi-amusés, mi-déçus, les téléspectateurs et la presse ne sont pas convaincus par les sourires crispés, les mines composées et le malaise apparent des protagonistes. Banales, les scènes sont jugées «gnangnan», d'une «platitude absolue», quand elles ne sont pas tout simplement «flagorneuses».

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image: keystone

Pourtant, une critique du Times conclut que le film de Cawston a donné à la nation «une compréhension intime de ce que sont les membres de la famille royale en tant que personnes individuelles sans mettre en péril leur dignité ou perdre le sens de la distance».

L'opération de relations publiques, destinée à dépeindre la famille royale en toute transparence, est un échec.

La fin du mythe

Dans son souci maniaque de contrôle de l'image, la famille royale a pris un énorme risque: tuer la monarchie. Si le public aime penser que les Windsor ne sont pas une famille totalement différente, la normalité peut aussi engendrer la familiarité, si ce n'est le mépris.

Comme l'écrit très justement, à l'époque de la diffusion, un contrôleur de la BBC, David Attenborough:

«Toute l'institution dépend de la mystique et du chef de tribu dans sa hutte... Si un membre de la tribu voit un jour l'intérieur de la hutte, alors tout le système de la chefferie tribale est endommagé et la tribu finit par se désintégrer.»
La famille royale au complet, en 1972.
La famille royale au complet, en 1972.image: keystone

Elizabeth II est consciente des risques que comportent la démystification de la Couronne et de préserver la magie de l'institution royale. Toute proche du peuple qu'elle est, elle tient plus que tout aux préceptes de la Constitution. Respect mythique et allégeance religieuse sont des rouages essentiels dans une monarchie et on ne les bafoue pas. Résultat: Royal family ne sera plus jamais diffusé et ses rarissimes copies resteront longtemps cadenassées à double tour.

Et pourtant... le voilà de retour!

Après près d'un demi-siècle d'interdiction persistante, les précieuses bobines refont surface inopinément en janvier 2021... sur YouTube. C'est un hacker qui est à l'origine de la diffusion du documentaire qui avait suscité les spéculations les plus folles.

Le voici en intégralité

L'occasion d'une chronique pour le Telegraph, en 2021: «Les Windsor sont totalement sans gêne, naturels, non formés aux médias. C'est comme regarder l'émission de télé-réalité originale... La famille ne sait pas comment on attend d'elle qu'elle se comporte devant la caméra, alors elle se comporte juste comme elle-même». Mission réussie, finalement?

Elisabeth II, le best-of en vidéo
Video: watson
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