«1992 n'est pas une année sur laquelle je reviendrai avec plaisir. Elle s'est avérée être une annus horribilis.»
Les mots sont lâchés. Prononcés d'une voix lasse, vidée, exsangue après des mois de catastrophes en série. Annus horribilis... une expression qui restera dans les annales.
Elle qui s'est toujours appliquée si soigneusement à ne rien laisser filtrer apparaît désormais abattue. Au point de sortir de sa réserve habituelle.
Nous sommes le 24 novembre 1992, au Guildhall, lors d'un discours à l'occasion de ses 40 ans de règne. Au fond, la souveraine n'est plus à ça près: cette année n'est que le point culminant d'une décennie de difficultés pour la monarchie. «Les années 90 sont certainement les pires. Ce sont les années où les Windsor sont les plus impopulaires», résume le journaliste spécialisé Thomas Pernette, au micro de RTL.
C'est peu dire que l'année a débuté... du mauvais pied. Le 19 mars, le prince Andrew se sépare officiellement de son épouse, Sarah Ferguson. Quelques mois plus tard, «Fergie» fait la une du Sun en se faisant léchouiller les orteils par son conseiller financier.
Manque de bol, l'intéressée se trouve justement en Ecosse avec belle-maman la reine et beau-papa le prince, lorsque le tabloïd en question atterrit sur la table du petit-déjeuner. Malaise.
Mais peut-être Elisabeth II a-t-elle trop la tête ailleurs, en ce mois de mars 1992, pour s'inquiéter des frasques de son fils et de sa bru. Une semaine plus tôt, le 12 mars, elle a dû se résoudre à faire ses adieux au «joyau de la monarchie britannique»: l'île Maurice, fraîchement indépendante. En quittant définitivement la monarchie, le pays se libère de la tutelle de la reine. Cruelle désillusion pour celle qui considérait ce bout de royaume comme l'un de ses pays préférés. Plus qu'un caprice, cette perte incarne avant tout le symbole d'un déclin. La fin inexorable de l'influence britannique dans le monde.
Quelques semaines plus tard, la princesse Anne, la fille d'Elizabeth, divorce à son tour. Un mariage de 18 ans dissous en quatre minutes chrono et en l'absence des deux principaux concernés. Mais surtout, le premier divorce de la famille royale depuis 56 ans, soit une sérieuse entorse à la tradition familiale.
Le 9 juin, nouvelle déflagration, nouveau coup porté aux coutumes de la maison Windsor: la parution d'une biographie explosive sur Lady Diana par le journaliste Andrew Morton. Le livre réunit tous les ingrédients pour régaler la presse à scandale: des infidélités du prince Charles (peut mieux faire pour l'héritier du trône d'Angleterre), aux troubles alimentaires de Lady Di et à ses tentatives de suicide, en passant par ses relations houleuses avec le reste de la famille royale.
Bref: un cauchemar éveillée pour Elizabeth II qui s’efforce, depuis des années, de cloisonner l'intimité des Windsor entre les murs du palais de Buckingham.
Le conte de fées est brisé. Si même les Windsor sont «des humains et malheureux en mariage»... Alors, à quoi bon avoir une famille royale? D'aucuns, en tout cas, n'hésitent pas à la remettre en question.
Six mois après la publication du livre qui achève définitivement de salir la figure déjà bien pâlichonne de la monarchie, Charles et Diana annoncent leur séparation, le 9 décembre. On connaît la suite. Cinq ans plus tard, Diana Spencer périt dans un tragique accident de voiture.
Mais nous n'en sommes pas encore là. Retour à cette sinistre année de 1992, qui ne peut s'achever autrement que dans les flammes. Le 20 novembre, un gigantesque incendie se déclenche au château de Windsor, l'une des résidences officielles de la reine.
A l'origine du feu: un bête incident. Un projecteur laissé allumé trop près d'un rideau. Bilan: quinze heures d'incendie, une centaine de pièces du château entièrement détruites, des millions de livres de dégâts, des années de reconstruction nécessaires.
Une image reste de cet incident. Celle d'Elizabeth, déambulant au milieu des décombres fumants, en bottes et en ciré. Très seule.
«Il y a cette scène extraordinaire où le prince Andrew, son fils cadet, est à ses côtés et aimerait la prendre dans ses mains pour la rassurer, et il ne peut pas le faire, parce que le protocole interdit qu’on touche la reine, même son propre fils.»
«Et donc la reine est seule devant ce désastre, l’incendie de son château préféré, l’incendie qui détruit le siège du pouvoir royal.»
Son discours au Guildhall intervient seulement quatre jours plus tard. Sa voix, encore éraillée à cause des fumées, en porte les stigmates:
Mais s'il est bien une chose qui caractérise ces 163 petits centimètres de femme royale, c'est bien sa ténacité et sa résistance à toutes épreuves.