A chaque fois que le magazine de la chaîne M6 «Zone interdite» réalise un sujet sur l’islam, cela provoque un scandale. Le dernier numéro en date, dimanche 23 janvier, ne fait pas exception. Son intitulé: «Les dangers de l’islam radical». La première partie, la plus polémique, celle qui a donné lieu au plus grand nombre de réactions sur les réseaux sociaux dès hier soir, était une plongée dans les milieux fondamentalistes de Roubaix, dans le Nord de la France.
Un peu comme dans les films précédés de la mention «Toute ressemblance avec des faits ou des personnages existants serait purement fortuite», sauf que là, tout est bien réel, la chaîne prend soin de glisser un avertissement en début de reportage: «La quasi-intégralité des musulmans de France vit dans le respect des lois et règles communes. Mais une petite minorité radicalisée conteste les lois de la République.»
Etat des lieux de cet islam radical à Roubaix, où 40% de la population est musulmane: un restaurant avec des espaces réservés aux femmes et fermés de rideaux; des librairies faisant la promotion d'une vision rigoriste et sexiste de l’islam, comme dans ce livre sur les droits et devoirs du mari et de l’épouse, écrit «par une cheikh algérien qui connaît bien la France»; une association éducative financée par la mairie de Roubaix, donnant dans le prosélytisme religieux auprès d’enfants «dès l’âge de 3 ans» (les responsables de l’association ont été arrêtés et vont passer en jugement, ainsi que le maire, dans les prochains jours).
Le reportage est accablant et souligne l’emprise de cet «islam radical», radical en ce qu’il instaure une coupure nette avec le monde environnant et une compétition avec ce dernier.
Roubaix, ville du textile et de la classique du cyclisme au printemps, fait parler d’elle dans les années 90 avec le «gang de Roubaix»: des islamistes partis faire le djihad en Bosnie et qui, de retour chez eux, réalisaient des braquages pour financer leur cause. Coïncidence: on apprend ces jours-ci que l’un des membres du gang, Lionel Dumont, converti à l’islam, condamné à 25 ans de prison en 2007, a été remis depuis peu en liberté, tout en étant placé sous bracelet électronique.
L’effet dramatique du reportage de M6 de dimanche est accentué par la présence et les mises en garde d’un jeune homme, Amine El Bahi, dont la sœur est partie rejoindre les rangs de l’Etat islamique et qui est actuellement retenue prisonnière en Syrie. Il s’alarme de ce «communautarisme» qu’il voit à Roubaix: «C’est une bombe à retardement», dit-il. Cela lui rappelle que de «nombreuses familles qui avaient signalé la radicalisation d’un de leurs proches n’avaient pas été prises au sérieux». Son intervention à visage découvert dans ce sujet consacré à l'islam radical lui a valu des menaces de mort («décapitation» et «égorgement»), a-t-il affirmé le lendemain sur le plateau de BFMTV.
Après avoir témoigné dans un reportage, Amine Elbahi raconte être "menacé de décapitation" pic.twitter.com/UbtJzOxXex
— BFMTV (@BFMTV) January 24, 2022
Sitôt diffusé, le reportage de M6 a mis aux prises deux camps rangés aux extrêmes (le plus grand nombre, suppose-t-on, faisant confiance au gouvernement pour lutter contre le «séparatisme» islamiste, sur la base d’une loi qui permet de fermer les associations et mosquées contrevenant aux «principes de la République»).
Ces camps y sont allés chacun de son «débrief», chacun dans son «space», des espaces de discussion sur Twitter. D’un côté, les partisans d’Eric Zemmour buvaient du petit lait, tant la réalité montrée pouvait être interprétée comme un changement de paradigme civilisationnel (les «lois divines» au-dessus de la loi commune).
De l’autre, les tenants du terme «islamophobie», venant de la gauche décoloniale et réunissant principalement des descendants de la deuxième génération de l’immigration maghrébine et subsaharienne, dont l’islam est un trait d’appartenance fort. Ces derniers, sur la défensive, estimant que la France agit de manière néocoloniale vis-à-vis des musulmans, ont jugé que le reportage de M6 contribuait à la stigmatisation des musulmans et faisait les affaires de la présidence Macron dans un contexte électoral.
Prévaut toujours chez certains musulmans une forme de déni lorsque les réalités décrites sont trop anxiogènes. Exemple: alors que sur sa page Facebook, l’entrepreneur Aziz Senni, membre du Medef (le patronat français), qui a grandi dans la plus grande cité jamais construite en France, à Mantes-la-Jolie, écrit:
il s'attire des commentaires, là encore, sur la défensive et dénigrant M6.
Joint par watson, l'entrepreneur livre son analyse:
«Cette attitude tient aussi à la crainte suscitée côté musulman par les nombreuses déclarations hostiles à l’islam d’Eric Zemmour», poursuit Aziz Senni. «A quoi l’on peut ajouter le retour de l’expression "nettoyer au Kärcher" dans la bouche de Valérie Pécresse. Cela rappelle aux habitants des banlieues les propos tenus en 2005 par Nicolas Sarkozy, alors en visite dans la cité des 4000, à La Courneuve en Seine-Saint-Denis.»
Le tweet ci-après signé Mila – l'adolescente qui avait fait l'objet de menaces de mort par milliers pour des propos injuriant l'islam, mais elle-même répliquait à des agressions verbales la visant au nom de cette croyance (la loi, qui ne reconnaît pas le blasphème, permet de dénigrer les religions comme toute idéologie, y compris dans des termes outranciers) – rend compte d'un contexte à fleur de peau sur la question de l'islam en France.
Il suffit de regarder #ZoneInterdite pour voir qu’aucun musulman n’est visé dans cette émission.
— Mila ✨ (@milafique) January 23, 2022
Le sujet évoqué par l’enquête est l’islam radical.
IslamMag le média en carton mal placé pour dire cela, puisque celui-ci cautionne ouvertement les horreurs démontrées dans le docu… https://t.co/2V2o7x1Omz