A la télévision, il y a toujours eu des poils à gratter. Jesse Watters, lui, fait saigner ses cibles, sans désinfectant. En l'occurrence, les passants, dans la rue et dans son chronique Watters' World. Armé d'un micro et d'une absence totale de filtre, il presse l'opinion des quidams comme des boutons de pus, pour que les déclarations les moins convenables explosent à l'antenne. Celle de Fox News, évidemment.
Une chaîne dont il est le toutou le plus fidèle. Le présentateur, âgé aujourd'hui de 44 ans, a passé plus de 20 ans à manger dans la main peu regardante de Rupert Murdoch, le propriétaire de la chaîne la moins policée du câble américain. Un «chien d'attaque», toujours prêt à rudoyer la veuve et l'orphelin pour quelques points d'audience. Cette semaine, il a été annoncé pour remplacer Tucker Carlson, l’ex-poupée maléfique de Trump, et sauver l'audience de Fox News. Jesse sera-t-il aussi sauvage qu'il l'a été jusqu’ici?
Quand il fallait catapulter un gars dans Chinatown pour se moquer violemment des Asiatiques, c'était un boulot pour Jesse. Avec le morceau Kung Fu Fighting en fond sonore et des interludes où on le découvre entre les mains des masseuses chinoises, il a traversé ce quartier emblématique de New York comme une tornade. Nous sommes alors en 2016 et l'idée est d'extorquer aux Chinois leur avis sur Donald Trump. On apprendra plus tard que la plupart de ses victimes étaient... japonaises.
Autant dire que cet enfant de Philadelphie ne s'est jamais contenté de tirer les vers du nez. Il extrait consciencieusement les boyaux de ces interlocuteurs, pour les exposer ensuite aux téléspectateurs. Qui ont longtemps adoré cela. Une habileté à la mise à mort sans remord, qu'un ancien pilier de la chaîne avait flairé bien avant tout le monde. En 2004, Bill O'Reilly, le rapace télégénique controversé de Fox News, parachutait Jesse pour la première à l'antenne. Il devient très vite l'humoriste corrosif, le clown politique dont la chaîne a besoin.
A la différence d'un Tucker Carlson, dont il reprendra le créneau le 17 juillet prochain, Jesse Watters est un bras armé, particulièrement efficace sous les ordres d'un homme tronc. Une sorte de Laurent Baffie de l'extrême droite américaine, qui a passé de longues années à piéger, vanner et tendre des embuscades aux cibles choisies par O'Reilly.
Ce dernier envoyait même son molosse pour régler ses problèmes personnels. «Je lui ai tendu une embuscade parce qu'O'Reilly m'a dit de la chercher depuis qu'elle a dit des conneries», confessera Watters, l'année de l'élection de Trump, dans une affaire un peu cracra, entre son patron et une journaliste du Huffington Post. Une année plus tard, ce sera la consécration. O'Reilly congédié, notre jeune loup obtiendra la case du samedi soir, pour y étaler son Watters' World, de tout son long et sans baby-sitter.
Enfant, malgré qu'il est le fruit d'une union proprette et amatrice de polos chics et bien repassés, le petit Jesse se montre «indomptable» et «impudique». Un passage en école Quaker, cette éducation libérale et religieuse basée sur le potentiel et l'empathie de l'enfant, n'y changera rien. (Les Obama et les Clinton avaient envoyés leurs enfants dans l'une d'elles à Washington.)
Une fois ado, Jesse Watters devient ce garçon charismatique. Celui qui l'ouvre, fait rire les copains et hurler les adultes. Un jour, alors qu'il participe à une fête organisée chez les parents de son meilleur ami, il collera des chewing-gums sur tous les murs de la chambre du papa, avant de faire cramer le tapis. La seule règle imposée par les parents ce soir-là? Interdiction formelle d'entrer dans leur chambre.
Watters et Tucker ont tous deux fréquenté le Trinity College, à Hartford dans le Connecticut. C'est là que Jesse a eu une véritable illumination politique: «En me réveillant d'une sieste, j'écoutais les discours du Sénat et j'ai réalisé que les républicains croyaient aux mêmes valeurs que les pères fondateurs: la liberté individuelle.» Des valeurs qu'il écartèle, depuis ses premiers pas sur Fox News.
Début 2000, alors qu'il bossait pour le blog Fox Nation, il adorait rédiger des articles aux titres racoleurs, en piétinant toute règle du métier. Ses cibles, en revanche, étaient celles de tous les journalistes de la chaîne: «Un maire transgenre s'attire les foudres pour ses tenues légères», «Les gauchistes se plaignent que les médecins de la CIA ont violé le secret médical des soignants d'Al-Qaïda». Deux mariages, quelques infidélités et une poignée d'enfants n'ont jamais réussi à adoucir la bête.
Ses proches ont toujours considéré que l'enfant illégitime de Tucker Carlson partageait ce même besoin insatiable d'attention.
Aujourd'hui, sur Fox News, un connard en remplace manifestement un autre. Considéré par son ex-mentor Bill O'Reilly comme un «missile à tête chercheuse», Jesse Watters a une grosse responsabilité sur ses épaules d'emmerdeur vedette: faire bander les courbes d'audience, qui n'ont jamais réussi à panser l'absence de Tucker Carlson, en avril dernier, le mois de naissance du dernier bébé de Jesse. A plus d'une année de la présidentielle américaine, les républicains attendent beaucoup de leur nouvelle marionnette.