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Fox news: Tucker Carlson ou la chute d'un «connard» charismatique

Tucker Carlson of the Weekly Standard during a CNN National Town Meeting on the Media discussing coverage of the White House sex scandal, Arlington, Virginia, January 28, 1998. (Photo by Richard Ellis ...
Tous ceux qui avaient le toupet de défier Tucker Carlson savourent une victoire.Image: Hulton Archive

Tucker Carlson ou la chute d'un «connard» charismatique

Les femmes, les noirs, les juifs, les homos, les progressistes, les épidémiologistes, les Ukrainiens, les chanteuses pop et tous ceux qui avaient le toupet de le défier savourent une victoire: «Le conservateur le plus puissant d'Amérique» a été éjecté de la chaîne Fox news lundi. Comment l'égérie des trumpistes est-elle passée de «clown intrépide» à ce dangereux gourou de la désinformation?
25.04.2023, 19:1730.04.2023, 12:02
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«Le leader qui dansera pour ce en quoi nous croyons.» C'est ainsi qu'en 2006, pile dix ans avant le sacre du président Trump, Al Sharpton, pasteur évangélique ultra-conservateur, souhaitait bonne chance à son héros du moment: Tucker Carlson. Quelques jours plus tard, au bras de la Russe Elena Grinenko, la future vedette de Fox news se couvrait de ridicule en quittant la version américaine de Danse avec les stars, dès la première semaine.

A l'époque déjà, son goût pour les pavés dans la mare éclaboussait tout producteur de télévision désireux de conserver son job.

«Elena qui m'apprend à danser, c'est comme Einstein qui enseignerait les additions à un gamin attardé mental»
Tucker Carlson, en 2006
UNITED STATES - SEPTEMBER 13: DANCING WITH THE STARS - "Episode 301A" - Audiences are treated to performances ranging from salsa to jive to hip-hop, from the hottest dance troupes and profes ...
Image: Disney General Entertainment

Dans la foulée de l'émission, le polémiste de droite aux deux pieds gauches avouera qu'il s'est plutôt bien marré à «faire n'importe quoi devant autant de téléspectateurs. Il faut dire que je n'ai pas vraiment l'habitude de me risquer à des activités où je n'excelle pas». Vous l'aurez compris, avant d'incarner ce gourou paranoïaque pour comploteurs primaires, le «conservateur le plus puissant des Etats-Unis» (quand le New York times se fait peur) est d'abord un emmerdeur de première. Un débatteur terrifiant et exalté. Un provocateur de haut niveau.

Même si ses anciens copains d'école n'ont jamais osé aller jusqu'à le dire intelligent, Tucker Swanson McNear Carlson a toujours été considéré comme un petit malin, une grande gueule qui cherche sa caisse de résonance, un garnement qui s'ennuie et comprend vite. Voire même, pour ceux qui parvenaient à le fréquenter dix minutes sans se ronger les nerfs, «un clown intrépide».

A la moindre occasion, et depuis ses premiers dérapages de boutonneux, ce gaucher dyslexique incarne le cheveu gras sur la soupe ambiante, avec une assiduité qui a épuisé plusieurs cargaisons d'esprits saints. Rien ne l'amuse autant que de saloper les culottes des âmes puritaines, souvent par simple volonté de contradiction. Pour dire, si le coup de pied au cul était une discipline olympique, Tucker n'aurait plus de place sur sa cheminée.

Son allergie à la «mollesse progressiste» s'est déclarée bien avant ses outrances télévisuelles et la naissance du premier coffee shop bobo de San Francisco, sa ville natale.

«Enfant, j'éprouvais déjà beaucoup de mépris pour la mièvrerie geignarde de la gauche. Ma prof, Marianna Raymond, une parodie vivante, portait des jupes couvertes d'imprimés indiens. Arrêtez de pleurnicher bon sang!»
Tucker Carlson, dans son bouquin Ship of fools (Le navire des fous)

Lundi 24 avril 2023, tout s'écroule: l'homme-tronc le plus regardé du câble américain n'est plus regardé du tout. Pour une fois, le coup de pied termine sa course sur son propre postérieur, celui qu'on croyait vissé à vie sur le plateau de l'émission qui porte son blase depuis 2016. Après une petite décennie de bons et lucratifs services, la direction de Fox news, par un communiqué violemment lacunaire, se sépare donc de sa poule aux œufs d'or, de sa machine à fake news, de l'égérie des MAGA, des Qanon, des antivax, des victimes du rêve américain et des propriétaires de trucks en rogne.

Sa dernière émission, sans le savoir, le 19 avril dernier.
Sa dernière émission, sans le savoir, le 19 avril dernier.

La chute est abrupte. Lui qui a généreusement participé à remplir les poches du patron Rupert Murdoch et la jauge électorale de Donald, voilà qu’il n'a même pas eu l'autorisation de prendre congé de ses 3,5 millions de fidèles quotidiens. Tout juste le temps de ranger ses dizaines de polémiques dans un carton et de débarrasser définitivement le plancher. Terminées les salves assassines contre les femmes, les noirs, les juifs, les progressistes ou les épidémiologistes. Au placard les câlins appuyés au régime de Poutine et l'empathie pour les émeutiers du Capitole. Un ménage de printemps tardif qui fait suite aux déboires monstres de Fox news devant la justice.

La fin d’une époque. Tucker Carslon était un empêcheur de filer droit, hystérique et systématique. A ce point qu'il paraît difficile d'imaginer qu'un seul homme puisse abriter autant d'opinions infréquentables sans dégobiller en direct. Tous les soirs, 20 heures tapantes, le «roi Tucker» prenait l'antenne comme Bruce Springsteen la scène. Les joues rondes, le verbe mesquin, la langue dure et la bouche en cul de poule, il jonglait avec le sous-entendu et le brouillage de pistes. Avec le même talent qu'un virus. Carlson maîtrisait son arène et martyrisait ses courageux invités. Drôle? Oui, il pouvait l'être, parfois. Et même malgré lui, tant il semblait parodique.

HOLLYWOOD, FLORIDA - NOVEMBER 17: Tucker Carlson during 2022 FOX Nation Patriot Awards at Hard Rock Live at Seminole Hard Rock Hotel & Casino Hollywood on November 17, 2022 in Hollywood, Florida.  ...
Getty Images North America

Mais la plupart du temps, le téléspectateur lambda se demandait, bouche bée, comment une chaîne officielle pouvait lui laisser les coudées aussi franches pour mentir, diffamer, mentir à nouveau et affirmer des horreurs telles que «l'Iran doit être purement et simplement anéanti». Face caméra, cet allume-feu pouvait jouer au parfait influenceur, sans être importuné par le moindre contradicteur. Tucker Carlson, la gâchette facile de l'extrême droite au pays du colt.

Choquer pour exister

Une vieille anecdote dit beaucoup du monstre qu'il est devenu: le 29 octobre 1984, une femme noire, d'un certain âge et aux nombreux antécédents psychiatriques, se fait flinguer par une patrouille, devant son domicile new-yorkais. Quatre mois qu'Eleanor Bumpurs n'a pas payé son loyer. En voyant débouler les agents, elle prend peur et dégaine un imposant couteau de boucher du tiroir de sa cuisine. Elle finira son existence avec deux balles dans le buffet, tirées d'un fusil de chasse de calibre 12.

L'affaire prend la Grosse Pomme aux tripes, au point que le NYPD modifiera ses «directives concernant les citoyens émotionnellement perturbés». Tucker Carlson a quinze ans au moment des faits. Alors étudiant à l'école préparatoire de Saint George, dans le Rhode Island, il assistera au speech ulcéré de l'un des seuls élèves blacks de l'établissement. Ce Richard Wayner, s’inquiétant du peu de voix offusquées qu'avait suscitées l'affaire, ose une question cash à l'assemblée, composée exclusivement de blancs becs: «Quelqu'un pense-t-il que cette femme méritait de mourir?» Une seule main s'échappe alors de la foule, après un silence qui aurait pu se compter en siècles. C'était Tucker Carlson, lancé tel un bolide infréquentable, à contresens sur l'autoroute.

5/14/2008 Photo by Krissy Krummenacker 200800916 MSNBC's Tucker Carlson Wednseday, May 14, 2008, at Reading's Sovereign Center. (Photo By Krissy Krummenacker/MediaNews Group/Reading Eagle vi ...
Tucker Carlson, dans les années 2000.Image: MediaNews Group RM

Jusqu’au 24 avril 2023, l'homme a toujours réussi à slalomer entre les bagnoles qui venaient à lui. A éviter le crash. Un pouvoir qu'il s'est permis d'user grâce à son audience gargantuesque, mais pas seulement. Le type, quand il n'est pas à l'antenne en train de débiter des âneries, est plutôt sympa. Parole de tout un tas de monde. En privé, Tucker a «accompagné, poussé, aiguillé la moitié des jeunes journalistes conservateurs du pays», aligne les blagues et se montre souvent prévenant. Dans l'open-space, quand le ton monte, à entendre ses collègues qui l'ouvrent les uns après les autres, ça semble être une autre histoire. Mais rien à voir avec le polémiste hirsute, persuadé que l'assaut du Capitole a été orchestré par le FBI.

«C'était un surfeur cool du sud de la Californie. C'était le gars le plus gentil, il jouait de la batterie et avait un tas d'amis. Et puis quelque chose a dû se passer dans sa vie qui l'a transformé en ce diable diabolique. Ce connard qu'il est aujourd'hui»
Warren Barrett, un ancien pote de fac

Tucker et son frère ont grandi entre hommes. Maman, une artiste hippie un peu instable, s'est tirée avec sa guitare quand le père a obtenu la garde exclusive des gamins. Son papa, il l'a aimé très fort, comme un miroir: «Il était plus drôle, plus scandaleux, plus créatif et moins disposé à se conformer que tous ceux que je connaissais ou que j'ai connus depuis.» Richard Carlson a longtemps bossé pour la radio publique Voice of America, mais ne voulait pas forcément que son fiston se lance dans une carrière cathodique. «J'ai essayé de le convaincre de ne pas se frotter à la politique non plus.» Raté. Son ancien prof d'anglais, lui, a toujours été impressionné par la gouaille de son élève. Il se souvient d'un gamin à l'ego en déséquilibre, qui voulait surtout amuser la galerie, sortir du lot, se façonner un personnage hors des cases.

«Je n'ai jamais considéré Tucker Carlson comme un idéologue profondément enraciné»
Rusty Rushton, son ancien prof d'anglais

Son prof n'a sans doute pas tort. Comme beaucoup de polémistes ultra-conservateurs, la joute semble primer sur les convictions profondes. Quitte à aller, souvent, toujours, trop loin. Quitte à verser dans le racisme le plus bourrin. Quitte à affirmer ce qu'on ne pense pas vraiment. Et le double langage de Tucker, qui a pris forme dans son enfance déjà, lui a par exemple fait avouer récemment qu'il détestait Trump «passionnément».

WEST PALM BEACH, FLORIDA - APRIL 02: A billboard put up by progressive activist group MoveOn that read “I Hate [Trump] Passionately - Tucker Carlson” is seen along I-95 on April 3, 2023 in West Palm B ...
Getty Images North America

Ironie du sort, l'homme a démarré sa carrière de journaliste au service fact-checking d'un journal local. Et qui se souvient encore qu’il s’est dessiné les muscles sur les plus sobres CNN et MSNBC? Un détail. Aujourd’hui, les esprits les plus rebelles l'imaginent déjà en route pour la Maison-Blanche. Il n'y a décidément qu'en Amérique où les marionnettes sont capables d'engranger autant d'influence.

La télévision de l'Oncle Sam, du moins celle d'avant, est ainsi capable de fabriquer des monstres de pouvoir et de suffisance qui ne savent plus vraiment qui ils sont. Pire, ils en viennent très vite à s'en foutre, dépassés par l'ampleur et les gains de leurs propres foutaises. Tucker Carlson n'était finalement rien d'autre que le messie de la mauvaise foi. En guerre perpétuelle contre des vérités, certes un brin rasoir, mais qui empêchent manifestement de dormir.

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