Pour Donald Trump, les affaires se suivent et ne se ressemblent pas (tout à fait). Après son procès retentissant autour du paiement silencieux à la star du X Stormy Daniels, le mois dernier, puis une comparution récente pour falsification de documents commerciaux, l'ancien président s'apprête à remettre une couche sur son copieux gâteau de troubles judiciaires. Il s'ouvre ce mardi dans le district sud de New York.
Les faits présumés remontent à plus de 30 ans, un soir indéterminé du milieu des années 1990. Elizabeth Jean Carroll, alias «E. Jean», animatrice d'un show de télévision sur la chaîne câblée America's Talking, se rend au magasin de luxe Bergdorf Goodman, sur la Cinquième avenue, où elle est une cliente régulière.
Alors qu'elle s'apprête à sortir par la porte latérale tournante sur la 58e rue, elle se retrouve nez à nez avec Donald Trump.
Selon les documents judiciaires, le magnat new-yorkais reconnait la journaliste. Ils gravitent dans les mêmes cercles médiatiques de New York et se sont déjà rencontrés par le passé. En quête d'un cadeau pour «une fille», le futur président américain demande conseil à son interlocutrice, avant de lui demander de l'accompagner dans le département de lingerie pour l'aider à faire son choix. Convaincue qu'elle pourrait tirer quelques anecdotes amusantes de cette virée shopping impromptue, la journaliste accepte.
Au rayon lingerie, inhabituellement vide, les deux connaissances remarquent un body transparent gris lilas. Séduit, Donald Trump insiste auprès de sa conseillère pour qu'elle l'essaye.
L'acte d'accusation détaille la manière dont, une fois à l'intérieur du vestiaire, Donald Trump l'aurait poussée contre le mur, lui «cognant la tête», avant de poser «sa bouche sur ses lèvres». Indifférent à ses tentatives de le repousser, il aurait «bloqué sa main sous sa robe» et «baissé ses collants». Après avoir décompressé son pantalon, Trump aurait ensuite «poussé ses doigts autour des organes génitaux de Carroll, et forcé son pénis à l'intérieur d'elle».
E. Jean Caroll parvient à s'enfuir du magasin Bergdorf Goodman. Affolée, elle passe un coup de fil à son amie Lisa Birnbach, qui l'enjoint à appeler la police. «Toujours sous le choc et réticente à se considérer comme une victime de viol, Carroll n'a pas voulu parler à la police», conclut le procès-verbal.
Plusieurs jours plus tard, Carroll affirme avoir parlé des événements présumés à une autre amie, Carol Martin. Laquelle lui recommande de n'en parler à personne. Un conseil que E. Jean Caroll appliquera à la lettre pendant plus de vingt ans.
Avant de tout balancer dans un célèbre article dans le New York Magazine, en 2019.
Depuis, Donald Trump est devenu président des Etats-Unis, la vague #MeToo a déferlé, de nombreuses têtes sont tombées et l'affaire a fait son chemin devant les tribunaux. Bien que les faits soient techniquement prescrits, E. Jean Caroll profite d'une fenêtre dans la législation new-yorkaise, en 2022, pour déposer plainte contre son agresseur présumé.
Donald Trump, pour sa part, nie tout en bloc. En 2019, aux allégations de E. Jean Caroll, il réplique n'avoir «jamais rencontré cette personne de sa vie» et les qualifie de «totalement fausses».
L'automne dernier, l'ex-locataire de la Maison-Blanche réitère ses dénégations sur son réseau Truth Social et dénonce un «canular», ajoutant au passage que ce cas est «complètement con». Des propos qui lui valent, outre une accusation de viol, une nouvelle plainte pour diffamation de la part de la principale concernée, pour «préjudice émotionnel et professionnel.»
Après des années d'accusations et de démentis échangés au travers d'articles, interviews et autres posts véhéments sur les médias sociaux, un jury exceptionnellement anonyme est à présent chargé de déterminer la vérité.
Si plusieurs témoins clés, dont Carol Martin et Lisa Birnbach, s'exprimeront à la barre, il en manquera un. Et de taille: l'accusé lui-même qui, sauf immense surprise, ne prendra même pas la peine de se déplacer à son propre procès.
L'affaire étant civile et non pénale, même s'il est reconnu coupable, l'ancien président ne risque pas d'aller en prison. Tout juste de devoir verser de lourds dommages et intérêts de plusieurs millions de dollars, dont Carroll n'a pas précisé le montant exact.
Ce qui ne signifie pas que le procès sera dénué d'enjeux. Une victoire de E. Jean Carroll marquerait la première condamnation de l'homme d'affaires pour agression sexuelle, malgré les plaintes et accusations de dizaines de femmes depuis des décennies (au moins 26, selon un décompte de Business Insider).
Donald Trump peut toutefois dormir sur ses deux oreilles. Une équipe juridique féroce a déjà sa ligne de défense toute tracée. Outre de cruelles lacunes dans son témoignage (date, jour de la semaine, du mois ou même année à laquelle le viol aurait eu lieu), E. Jean Caroll n'a jamais trouvé aucun témoin qui corrobore l'avoir vue avec Donald Trump, ce fameux soir, à Bergdorf Goodman.
Ce n'est donc pas demain que les démocrates risquent de voir leur pire ennemi croupir en cellule. Pour assouvir ce fantasme, il leur reste l'AI.