Des milliers de personnes sont descendues dans la rue ce week-end pour protester contre la politique migratoire de Donald Trump. De nombreux rassemblements - pourtant pacifiques à la base - se sont transformés en affrontements violents en l'espace de quelques heures.
Comment la situation a-t-elle pu dégénérer à ce point?
Claudia Brühwiler: Il faut avoir plusieurs niveaux de compréhension. D'une part, la mégapole californienne a l'habitude des manifestations qui dégénèrent. Los Angeles vit régulièrement des secousses. D'autre part, le gouvernement californien et celui de la ville ne partagent pas les vues de Washington en ce qui concerne la gestion de la migration. Par ailleurs, une part très importante de la population de la région se sent personnellement concernée par les récentes descentes du service de l'immigration.
Donald Trump a réagi en envoyant des Marines et la garde nationale, contre la volonté du gouverneur, Gavin Newsom et de la présidente de LA, Karen Bass. Est-ce qu'il est allé trop loin?
Il se situe dans une zone grise. Il faut cependant reconnaître que c'est exceptionnel. Le déploiement de la Garde nationale contre l'avis de l'état en question, cela remonte à 1957 et 1965; les Etats du Sud et le gouvernement fédéral s'affrontaient concernant la mise en œuvre de la «déségrégation», entendez par là la suppression de la ségrégation raciale. Mais à l'époque, Washington avait envoyé la Garde nationale pour protéger les militants des droits civiques.
Et à Los Angeles?
La dernière fois que la Garde nationale s'y est rendue, c'était en 1992, mais le président et le gouverneur travaillaient alors ensemble. Des manifestations ont dégénéré après l'acquittement des forces de l'ordre. Elles avaient passé à tabac l'Afro-Américain Rodney King lors d'un contrôle de police. Bilan: des morts et des centaines de blessés. Rappeler la garde nationale aujourd'hui est particulier.
Mais l'histoire a aussi montré le genre de dynamique que de tels événements peuvent déclencher à Los Angeles. On aurait pu se douter que les forces de police allaient être débordées. Le chef de la police de la ville a d'ailleurs déclaré après coup qu'il était judicieux d'avoir mobilisé du renfort extérieur. Et puis, le gouvernement démocrate de Californie met parfois trop de temps à réagir.
Trump a-t-il ainsi évité le pire? Gavin Newsom affirme, quant à lui, que la situation n'a dégénéré qu'après l'ordre d'envoyer la garde nationale.
On peut se demander encore longtemps si Trump a jeté de l'huile sur le feu en prenant cette décision. Aucun des deux n'a sans doute complètement tort. Bien sûr, le recours à la garde nationale témoigne d'une disposition à répondre à la violence par la violence. D'un autre côté, on connaît l'histoire de Los Angeles. C'est l'image de l'œuf et de la poule, et personne ne pourra jamais trancher.
Y a-t-il un risque de propagation de la fronde dans tout le pays?
Donald Trump a un agenda clair contre ce qu'il appelle les «sanctuary cities». Ce qui désigne les grandes villes aux mains des démocrates qui disent rejeter l'application de la politique migratoire de Washington. Par exemple, les déportations à grande échelle. Dans son élan, Trump pourrait viser d'autres villes. Reste à savoir si le laxisme des autorités locales atteindrait le niveau de ce qu'on a constaté à Los Angeles.
Est-ce que Trump a voulu envoyer un signal le week-end passé?
Oui, il a surtout voulu prouver sa détermination. La Californie a servi de test. Et elle est particulièrement appropriée pour cela.
La réaction très violente du gouverneur a été une aubaine pour les républicains.
Donald Trump cherche-t-il réellement à calmer le jeu?
Il a évidemment intérêt à ce que l'intervention de la garde nationale et des Marines mène à l'apaisement. Ce que l'on attend, c'est un retour au calme sans qu'il faille davantage de forces militaires.
Il espère sûrement leur dispersion désormais. Non pas au nom de la paix, mais pour justifier sa démarche.
Trump semble se disputer avec tout le monde ces derniers temps. Avant le gouverneur de Californie, son ancien confident Elon Musk en a pris pour son grade. Fallait-il s'attendre à la fin de leur «bromance»?
Dès le début, je me suis demandé - comme beaucoup d'autres - combien de temps cela allait durer. Sur le plan purement juridique, Musk était sur la sellette dès son embauche. Il était en outre prévisible que l'homme fort de la tech serait quelque peu désabusé par l'appareil administratif du gouvernement et qu'il se heurterait à une résistance au sein du parti républicain. Mais peu de gens avaient prévu qu'une rupture personnelle interviendrait aussi vite.
Leur relation pourrait-elle encore s'envenimer?
On peut leur faire confiance à ce niveau - et ils se font aussi confiance l'un l'autre pour cela. Donald Trump a par exemple averti Elon Musk qu'il ferait mieux de s'abstenir de soutenir les démocrates. Musk, quant à lui, n'a aucun intérêt à mettre en péril les contrats de sa société SpaceX avec des agences fédérales comme la Nasa. Tous deux savent qu'ils pourraient se nuire mutuellement. Cela porte donc à croire qu'ils se contenteront de se grogner dessus à distance.
Trump s'est calmé ces derniers temps avec ses guerres commerciales. Pourquoi?
On ne sait pas tout. On sait seulement que du côté suisse, on travaille et on négocie beaucoup. On s'attend à ce que les pauses douanières, en vigueur jusqu'à l'été, se prolongent une nouvelle fois, car il y a trop de choses en parallèle.
Il ne peut pas tout mettre en avant en même temps.
Nous sommes encore dans les premiers mois de son second mandat. Outre tout ce que nous avons déjà évoqué, Trump a notamment cherché des poux aux universités les plus prestigieuses du pays et prononcé des interdictions de voyage pour une douzaine de pays. Quel est son objectif, au fond?
Avant tout de mettre en œuvre son programme électoral et d'étendre et transformer le pouvoir présidentiel. Il a déjà liquidé beaucoup de sujets.
Par exemple?
La promesse de sévir en matière de politique migratoire est en cours de réalisation - nous sommes en plein dedans. L'abolition des mesures DEI (réd: diversité, équité, inclusion) au niveau fédéral, et l'exclusion des personnes trans de l'armée et du sport sont également déjà derrière lui - pour n'en citer que quelques-uns.
Mais nombre de ces mesures ont été contestées.
C'est ça. Comme Trump a beaucoup gouverné par décret, la Cour suprême rendra probablement de nombreux jugements en juillet.
Est-ce qu'il s'y conformera s'ils ne vont pas dans son sens?
On pourra alors voir s'il franchit un ligne rouge, même d'un point de vue conservateur. La Cour suprême - pourtant conservatrice - fera probablement capoter certains de ses projets.
Et ensuite? Comment à quelle évolution faut-il s'attendre?
Tout devrait ralentir.
Pourquoi?
D'abord parce que Trump a déjà beaucoup travaillé sur son programme. Beaucoup de choses restent à finaliser, tous les conflits douaniers notamment. Il faut désormais conclure des accords avec les principaux partenaires commerciaux. Deuxièmement, le président va commencer à regarder vers les élections de mi-mandat de l'année prochaine. Si ses partisans sont dépassés et frustrés, ils ne voteront pas pour le parti républicain. Donald Trump le sait. Voilà sans doute pourquoi il a imposé un rythme si élevé dès son entrée en fonction. Cela lui permet d'affirmer qu'il a tenu parole.
Adaptation française par Valentine Zenker