Le New York Times parlait de «l'érudit devenu diplomate». Henry Kissinger a réussi des coups de maître diplomatiques, parfois en marchant sur les principes démocratiques. Le mythique journal new-yorkais écrivait qu'il est considéré «comme le secrétaire d'Etat le plus puissant de l'après-Seconde Guerre mondiale».
«L'illégal, nous le faisons immédiatement; l’inconstitutionnel prend un peu plus de temps», une phrase qui résumait la philosophie du diplomate américain, traînant derrière lui une réputation sulfureuse. Kissinger a consacré sa longue existence à la défense de l’impérialisme américain - et à populariser la fonction de secrétaire d'Etat par la même occasion.
L'homme a vu du pays, de la paperasse et s'est forgé une image d'intransigeant, puissant. Il faisait passer son cynisme, sa marque de fabrique, pour de «l'esprit» dans les milieux médiatico-politiques. Il avait par ailleurs énoncé cette phrase: «Si ce n’était le hasard de ma naissance, j’aurais été un antisémite». Lui, né juif allemand en 1923 et naturalisé américain à ses 20 ans après que ses parents aient fui la Bavière pour mettre le cap sur les Etats-Unis.
Au cours de ces cent années d'existence, Henry Kissinger a accumulé des histoires et des anecdotes, surtout pour un homme qui a réussi à ouvrir la voie aux relations les plus complexes au monde entre des pays que tout oppose.
Henry Kissinger laisse un héritage détonnant, parfois brillant et parfois lourd, très lourd. Sa politique étrangère lui a valu des réussites éclatantes, mais également des critiques véhémentes, en tant que conseiller à la sécurité nationale puis secrétaire d’État, de 1969 à 1976.
Lors de ces années, il prend les commandes de la diplomatie américaine, s'imposant comme le conseiller le plus influent de deux présidents successifs, Richard Nixon (1969-1974) et Gerald Ford (1974-1976). Il joue surtout un rôle crucial dans le rapprochement entre la République de Chine et les Etats-Unis, éclipsant quasiment les deux présidents par son sens tactique, couplant intelligence et action.
Kissinger a joué sur un équilibre des puissances et optant pour une relation triangulaire entre la Chine, l'URSS et les Etats-Unis.
Alex Gibney s'est attaqué au personnage en posant cette question: Henry Kissinger, l'illustre prix Nobel et le plus fameux diplomate du XXe siècle, serait-il également un criminel de guerre?
Avec Le procès d'Henry Kissinger, sur la base des informations du livre de Christopher Hitchens, journaliste d'investigation, le documentaire développe un Henry Kissinger «rayonnant, roi de la jet-set, en cour avec Hollywood, séduisant, dans les bras des starlettes à la mode, qui maîtrise son image à la perfection», décrivait Le Monde dans sa critique.
Mais derrière l'image dégageant puissance et confiance, l'ombre de manigances, d'opérations concernant le coup d'Etat au Chili et le meurtre de Salvador Allende, son entreprise de sabotage des pourparlers de Paris en 1968 pour la paix au Vietnam, ses manœuvres secrètes de bombardement du Cambodge en 1969, son soutien au massacre de 100 000 Timorais par le Président Suharto en 1975. L'intéressé n'a jamais souhaité répondre et refusé les demandes d'interview.
En Amérique latine, Kissinger a supervisé une vague de coups d’Etat militaires et l’imposition de dictatures. Il aura d'ailleurs une remarque qui fera jaser, à propos du Chili lorsque Augusto Pinochet renversait le régime réformiste de Salvador Allende:
Henry Kissinger, one of the world’s most notorious war criminals, has finally died. Let’s take a look back and remember him for all the things he did: 🧵👇 pic.twitter.com/HICRbMj95G
— red. (@redstreamnet) November 30, 2023
Diplomate et fin stratège, il est également l'auteur d'une vaste oeuvre littéraire. Sa plume n'a pas chômé, puisque ce n'est pas moins de 19 ouvrages qui ont été publiés.
Universitaire et écrivain, ses réflexions ont été analysées et décortiquées. On peut démarquer un livre comme Nuclear Weapons and Foreign Policy, paru en 1957, qualifié de très intelligent ou encore Diplomacy (1994), un livre qui souligne qu’il a passé sa vie à étudier et, pour une bonne part, à pratiquer: la politique de puissance.
A New York, le petit Heinz Kissinger compose avec un père comptable qui sombre dans la dépression, qui n'arrive pas à s'adapter à sa nouvelle patrie, et une mère qui se bat pour garder la famille unie, en tuant le temps avec de petites fêtes.
C'est au lycée que Heinz va devenir Henry Kissinger. Un patronyme qui ne le lâchera plus.
Comme le souligne dans un bel article le Washington Post, Zsa Zsa Gabor et Henry Kissinger ont entretenu une relation démarrée par l'entremise du président Nixon.
Ils s'étaient bien entendus après s'être assis l'un à côté de l'autre lors d'un dîner d'Etat à la Maison Blanche. L'actrice était tombée sous le charme du diplomate.
Gabor confiait une anecdote dans son livre autobiographique, Une vie ne suffit pas (1991): alors qu'ils rentraient d'un repas à Beverly Hills en 1970, Henry Kissinger a demandé à la comédienne s'il pouvait monter boire un verre dans sa demeure. La soirée s'annonçait plaisante, mais son biper s'est déclenché: «Henry, reviens immédiatement. J’ai besoin de toi». C'était le président Nixon, celui qui avait orchestré la mise en relation entre son conseiller et l'actrice qui deviendra une légende hollywoodienne.
L'Express citait l'auteur d'un essai sur le personnage, Jérémie Gallon, qui rappelait en 2021 une histoire plutôt étonnante.
Un succès qui paraissait impensable avant les résultats. Lui, ce binoclard aux montures massives n'avait, selon les dires de son masseur attitré, «pas le moindre muscle dans son corps».
Le physique ne fait pas tout et le charmeur à l'apparence peu avantageuse aura cette phrase pour répondre à ses détracteurs:
L'URSS compte sur la les échecs pour faire valoir leur supériorité. Depuis 1948, les champions du monde sont soviétiques, et aucun joueur d'une autre nationalité n'a participé à une finale.
Sauf qu'en 1972, un Américain avance ses pions. Bobby Fischer vient empiéter sur les plates-bandes des Soviétiques. Face à lui, Boris Spassky.
Le duel est programmé à Reykjavik, en Islande. Mais Fischer refuse de quitter New York. Les Soviétiques accusent les Etats-Unis de se moquer de leur champion. Le duel programmé vire à l'incident diplomatique.
C'est là qu'entre en scène Henry Kissinger, avec cette phrase lâchée au bout du fil: «Le plus mauvais joueur d'échecs au monde appelle le meilleur», en fin communicant. Le joueur d'échecs accepte et lâchera à la télévision que «le prestige du pays est en jeu».
Boris Spassky, champion en titre, s'inclinera à la 21e partie face à Bobby Fischer et Washington triomphera.
YES
— Is Henry Kissinger Dead Yet? (@DidKissingerD1e) November 30, 2023