Il n'y a que les Américains pour poser de tels sujets sur la table de leur Parlement: les objets volants non identifiés, plus familièrement abrégés «ovnis».
Un nom qui fleure bon les secrets d'Etat, les films de science-fiction, mais aussi les théories complotistes les plus fumeuses. Un acronyme qui pousse surtout la majeure partie d'entre nous à esquisser un sourire sceptique. Pour atténuer quelque peu ce caractère folklorique, le gouvernement américain l'a affublé d'un nouveau titre: désormais, ce sera PAN, pour «phénomènes aériens non identifiés».
Et pour la première fois depuis 56 ans, ces «phénomènes aériens non identifiés» ont été au cœur d'une séance extraordinaire, du Congrès américain.
Aux Etats-Unis, la classe politique ne s'était plus penchée sur la question des ovnis depuis la fin des années 1960. A l'époque, rappelle la BBC, une enquête «Project Blue Book», concluait laconiquement qu'aucun objet volant n'avait jamais été confirmé comme représentant une menace pour la sécurité nationale américaine.
Mardi, un comité a mis fin à ce long silence, en auditionnant deux hauts responsables du Pentagone, à savoir:
Pourquoi cette audience au sein de la très sérieuse Chambre des Représentants?
Il s'agit de donner suite à un rapport publié l'année dernière par la taskforce ovnis (oui oui, vous avez bien lu) du gouvernement américain.
Ce document dresse un état des lieux complet, détaillé et exhaustif de tout ce que l’armée et le renseignement américains savent de ces «phénomènes volants non identifiés». Au fil de ces neuf pages, le Pentagone recense pas moins de 144 évènements inexpliqués depuis 2004: des «incidents» rapportés par des pilotes de l'armée américaine, des hommes, des femmes ou des scientifiques, détaille à l'époque franceinfo.
Si ce rapport insiste sur la nécessité d’approfondir les analyses et de cumuler plus de données (ces observations pouvant tout aussi bien être le résultat d'erreurs de capteurs, de mystifications ou de mauvaises perceptions de l'observateur), il ouvre aussi la porte aux spéculations.
Une porte qui n'a pas été entièrement refermée, ce mardi 17 mai, par les deux experts du Pentagone, Ronald Moultrie et Scott W. Bray. Loin de là. Le duo d'experts va même plus loin, en évoquant, non pas 144... mais presque 400 cas de phénomènes aériens. Un nombre autrement supérieur à celui communiqué par le Pentagone il y a un an, mais à prendre toutefois avec des pincettes. Selon le sous-secrétaire à la défense, Scott W. Bray:
Certains d'entre eux pourraient donc s'avérer bidons. Leur prolifération s'explique par le fait qu'un tabou semble être tombé au sein de l'armée, et que les potentiels témoins se gênent moins pour délivrer leur récit.
Mais alors, comment expliquer certains de ces témoignages? «Nous savons que nos militaires ont rencontré des phénomènes aériens non identifiés», a détaillé Ronald Moultrie, le chef du renseignement militaire.
Selon lui, une analyse rigoureuse permettrait d'identifier la plupart des PAN... Enfin, presque. «Tout objet que nous rencontrons peut probablement être isolé, caractérisé, identifié et, si nécessaire, atténué».
En tout cas, l'enquête n'a pas permis de déterminer si tous les «ovnis» recensés à ce jour étaient dus à des des phénomènes atmosphériques jouant des tours aux capteurs.
Sans aller jusqu'à confirmer la présence de vie extraterrestre, Moultrie s'est dit mardi «ouvert à toutes les hypothèses».
Le sous-secrétaire à la Défense s'est même permis un trait d'humour en reconnaissant volontiers la fascination du public pour le paranormal. Admettant qu'il est un fan de longue date de scientifique-fiction, il a ajouté que lui-même ne mettait pas de déguisement. Rassurant.
Le fait est que plusieurs cas de PAN défient pour l'heure toutes les tentatives d'explication: «Il y a une petite poignée [d'événements] dans lesquels il y a des caractéristiques de vol ou une gestion de la signature, que nous ne pouvons pas expliquer avec les données dont nous disposons», a enchaîné Scott W. Bray. «Ce sont évidemment ceux qui nous intéressent le plus».
Parmi ces cas, un objet repéré en 2004 depuis un porte-avions dans le Pacifique. Les observateurs avaient pu le voir tomber à plusieurs milliers de mètres, avant de s'arrêter et de rester en vol stationnaire. Ou encore, l'apparition fugace, là encore non identifiée, passée devant un avion de chasse de la marine américaine.
Au cours de l'audience, Scott W. Bray a précisé qu'aucun matériau organique, ou inorganique, ou épave inexplicable n'a jamais été récupéré: «Nous n'avons détecté aucune élimination au sein du groupe de travail PAN qui suggérerait qu'il s'agit de quelque chose d'origine non-terrestre», a-t-il déclaré, ajoutant qu'aucune tentative de communication avec ces drôles d'objets volants n'a jamais été effectuée.
En tout cas, les hauts fonctionnaires américains n'ont pas caché leur scepticisme quant à une quelconque origine extraterrestre. Pour l'élu républicain Rick Crawford, cette enquête est surtout un signal d'échec: «L'incapacité du gouvernement à identifier des objets dans des zones d'opération sensibles équivaut à un échec du renseignement».
«Lorsque nous repérons quelque chose que nous ne comprenons pas ou que nous ne pouvons pas identifier dans notre espace aérien, il incombe à ceux à qui nous confions notre sécurité nationale d'enquêter et de faire un rapport», a ajouté Adam B. Schiff, le président du comité du Renseignement de la Chambre des représentants des États-Unis.
Dans un communiqué relayé par le Wall Street Journal, Schiff avait déclaré cette semaine: «L'objectif de cette audience est de donner au public l'occasion d'entendre directement des experts en la matière et des dirigeants de la communauté du renseignement sur l'un des plus grands mystères de notre temps.»
Une chose est sûre: l'audience s'est achevée sur beaucoup de questions... mais peu de réponses.
En tout cas, le Pentagone n'en restera pas là: il compte créer un nouveau groupe de travail. Ce dernier sera chargé de recueillir davantage d'informations sur les incidents, afin de pouvoir faire plus rapidement la lumière sur les «phénomènes aériens non identifiés».