«Regarde, regarde! REGARDE! Bon sang! Il est là! IL EST LÀAAAAAAAAAAAA! HOLLYWOOD!!!» L'euphorique monte, l'avion amorce la descente. Quiconque a déjà eu la chance d'effectuer le vol en direction de Los Angeles peut témoigner des cris surexcités des touristes, nez collés contre le hublot, devant les fameuses lettres blanches se dessinant, toutes petites, sur la colline aride.
Hollywood. Neuf lettres, tout un symbole. Fric, décadence, décrépitude, mort, cinéma, gloire, glamour, splendeur. Ce panneau est à la Cité des Anges ce que la Tour Eiffel est à Paris et la Statue de la Liberté à New York: un monument indéboulonnable, qui, en un siècle d'existence, a survécu à son lot de drames et de mésaventures.
Comme tant d'autres projets démesurés, l'idée est née dans un cerveau fantasque. Nous sommes en juillet 1923. L.A. est une ville jeune, en pleine effervescence, la plus peuplée de l'Etat de Californie, juste devant sa rivale San Francisco, bercée par la douceur du climat, l'océan Atlantique et une mer de pétrole à ses pieds. L'époque est aux rêves de grandeur et à l'ambition démesurée, pour les riches comme les moins riches.
Ici, tout est possible. Le cinéma est en plein essor, la culture bouillonne, l'immobilier prospère. Si bien que dans le quartier de Hollywood, on en vient à manquer de logements haut de gamme. La solution? Un projet de lotissements dans «un environnement superbe sans coût excessif, du côté hollywoodien des collines», selon la promesse des promoteurs immobilier. Son nom? «Hollywoodland».
Pour attirer l'attention des acheteurs potentiels à des miles à la ronde, il faut quelque chose de spectaculaire. Voire tape-à-l'oeil. Installé dans son bureau, c'est Harry Chandler, éditeur du Los Angeles Times, qui imagine le coup de pub ultime: un gigantesque panneau publicitaire planté au sommet de la colline surplombant la ville, à 481 mètres d'altitude.
Ni une, ni deux: les lettres majuscules, d'une hauteur de 15 mètres, sont hissées le long d'un terrain escarpé, à Griffith Park, du côté sud du mont Lee, sur le dos d'ouvriers, de mulets et une route tracée pour l'occasion.
Que ce modeste «panneau», bâti tout en bois et parsemé de quelque 4000 ampoules clignotantes, ait survécu au-delà de sa période initiale de 18 mois, relève du miracle. Régulièrement malmené par le vent et les glissements de terrain, HOLLYWOODLAND résiste aux aléas de la conjoncture économique et du temps.
La Grande Dépression mettra un coup d'arrêt au projet immobilier Hollywoodland. Pas aux célèbres lettres. Bien que, en ces temps de la crise économique, l'entretien de l'enseigne publicitaire soit loin d'être une priorité.
Il aurait peut-être mieux fallu, pour cette jeune actrice, que l'enseigne soit démantelée. A 24 ans, Peg Entwistle, enhardie par son succès sur la scène des théâtres new-yorkais, tente le tout pour le tout. En 1932, l'ambitieuse part s'établir chez son oncle à Los Angeles, sur Beachwood Drive - pratiquement à l'ombre du panneau Hollywoodland. Le succès ne sera pas au rendez-vous. Les refus s'accumulent. La comédienne désespère.
Le soir du 18 septembre 1932, Peg, acculée, prétexte une sortie à la pharmacie pour entreprend la difficile montée vers le panneau. A l'aide d'une échelle d'ouvrier, elle se hisse au sommet de la lettre «H». Et plonge dans le vide.
Un randonneur retrouvera sa chaussure, sa veste et son sac à main dans un canyon tout proche. Ainsi qu'un mot, griffonné à la main:
La légende raconte qu'une enveloppe est arrivée le lendemain de sa mort, à son domicile de Beverly Hills Playhouse. On lui offrait le rôle principal dans une pièce sur une femme poussée au suicide. Mais ça, c'est peut-être un mythe hollywoodien.
Plus de 90 ans après son suicide, Peg Entwistle n'aurait toujours pas quitté les lieux. Depuis les années 40, promeneurs et joggeurs sont nombreux à témoigner de leur rencontre avec une mystérieuse Dame blanche, laissant dans son sillage un entêtant parfum de gardénias - apparemment, l'odeur préférée de Peg Entwistle de son vivant.
Cette même lettre «H» a été détruite une dizaine d'année après ce suicide tragique, au début de l'année 1944, contribuant à la sinistre réputation du lieu. Pour expliquer ce nouvel incident, un article de United Press met en cause les vents, quand le Los Angeles Times affirme que l'élément de construction a été victime de «vandales ou de la tempête».
Quoi qu'il en soit, dès lors, c'est une triste inscription «Ollywoodland» qui se dessine avec hésitation le long du paysage.
En 1949, le panneau est en si piteux état que les résidents locaux appellent à la démolition de cette «horreur» et véritable «préjudice pour la communauté». C'est sans compter sur l'intervention de dernière minute de la chambre de commerce de Hollywood, qui accepte de financer les réparations. Enfin, «réparations»... Il s'agit surtout d'exorciser les origines commerciales de l'enseigne.
Les quatre dernières lettres, «LAND» sont retirées, offrant au panneau une nouvelle signification: l'emblème du quartier de Hollywood et de son industrie cinématographique.
Un symbole bientôt classé comme «monument historique» de la ville, certes, mais qui est loin de connaître la fin de ses déboires. Avant la fin des années 1970, c'est «buffet à volonté»: n'importe qui peut accéder au site et embarquer, au plaisir, un morceau de la structure dans son sac à dos.
Résultat: en 1978, tout est à recommencer et le site est à nouveau plus en moins en ruines. Heureusement, un héros se porte au secours de l'enseigne. Hugh Hefner, le fondateur mythique du magazine Playboy.
Pour récolter des fonds, ce mécène inattendu va jusqu'à organiser une soirée dans son célèbre manoir Playboy. Le concept? Mettre aux enchères chaque lettre au prix individuel de 27 778 dollars, pour une somme totale de 250 000 dollars (soit environ 1,1 million actuels). Les parrains? Un joyeux mix de célébrités, qui va de la légende du hard rock Alice Cooper, en passant par les studios Warner Bros, au cow-boy chantant Gene Autry.
Cette fois-ci, en revanche, pas question de répéter les erreurs du passé: le bois laisse place à une structure nettement plus solide et pérenne. Le temps des travaux, trois longs mois, Hollywood est nue. 194 tonnes de béton, d'émail et d'acier plus tard, le panneau jaillit, prêt et poli pour affronter un nouveau millénaire. Les lettres flambant neuves règnent sur la mégapole, du haut de leur 13,7 mètres.
Pourtant, l'acier le plus solide n'est rien face à la bêtise humaine. Devant le nombre de violations sur le site, le département de police de Los Angeles se voit contraint, en 2000, d'installer un système de sécurité de pointe, avec détection de mouvement et caméras en circuit fermé, autour des précieuses lettres. Tout mouvement dans les zones réglementées déclenche aussitôt une alarme qui avertit la police.
Il faut dire que, depuis des décennies, le panneau n'a pas échappé aux actes de vandalisme et autres blagues les plus douteuses. «Hollywood» est la cible des détournements les plus divers et variés. De «Holllyweed», en 1976, puis en 2017, pour marquer l'assouplissement de la loi sur la marijuana, à «Holywood», en l'honneur de la visite du pape Jean-Paul II à Los Angeles. Sans omettre le mémorable «Hollyboob» (pas besoin de traduction, vous avez compris), en 2021, né grâce aux bâches et à l'ingéniosité d'une bande d'influenceurs, pour dénoncer la culture de censure en vigueur sur Instagram.
En 2022, pour fêter dignement l'imminence de son centième anniversaire, l'emblème de Los Angeles fait peinture neuve.
Après tout, qui sait quelles aventures réservent les 100 prochaines années à cette mélodramatique Dame blanche.